La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Le Pays des aveugles

Le Pays des aveugles - Critique sortie Théâtre
Crédit photo : Cyrille Sabatier Légende photo : Nino D’Introna au pays des aveugles.

Publié le 10 février 2012 - N° 195

Nino D’Introna interprète, avec une remarquable force d’évocation, Le Pays des aveugles, qu’il a adapté d’une nouvelle de Wells : une geste remarquablement théâtralisée et puissamment poétique.

On se souvient de Mélanie de Salignac et de l’aveugle-né du Puiseaux, dont Diderot vante les prouesses et les mérites, le tact délicat et l’entendement autrement mieux conformé que celui des voyants : ceux qui voient ont beaucoup à apprendre de ceux qui ne le peuvent, notamment que la privation n’est pas toujours un défaut. Mais on imagine mal, à l’inverse, qu’un sens supplémentaire puisse constituer un handicap : c’est sur cet intéressant renversement que s’organise la nouvelle de H. G. Wells, que Nino D’Introna porte à la scène. Le directeur du Théâtre Nouvelle Génération de Lyon a découvert ce texte il y a trente ans, dans une anthologie de contes de science-fiction, et avoue en être « tombé amoureux ». Il en a réalisé une première adaptation scénique en 1992, en italien puis en français. Fort du succès de ce spectacle, il le reprend aujourd’hui, en compagnie de Paolo Cipriano et Valentina Mitola, rockers turinois du groupe Les Supershock, en une proposition théâtrale captivante, qui sollicite les différents sens de manière fascinante.
 
Synesthésie théâtrale
 
Un montagnard de la région de Quito découvre, au-delà du Parascotopetl, « le Cervin des Andes », un pays où les hommes sont aveugles depuis quinze générations. Le voyageur est certain qu’il va pouvoir régner en maître sur ce peuple, puisqu’« au royaume des aveugles, les borgnes sont rois ». Mais sa vanité est bientôt décillée : au pays des aveugles, la vue apparaît comme le délire d’une imagination malade, qu’il faut soigner en arrachant ces globes fantasques qui handicapent le malheureux. La gageure est évidemment de confier au théâtre, art de la vue, une telle parabole de ses propres limites. Paolo Cipriano et Valentina Mitola créent, en direct, une musique forte, belle et suggestive, partenaire de jeu du comédien. L’utilisation du micro HF permet de moduler les voix : timbre doux et mélodieux des aveugles, netteté froide et tranchante des mots du voyant. Si les fumigènes sollicitent l’odorat, ils sont également le moyen de diffracter la lumière, qu’Andrea Abbatangelo travaille en maître. Nino D’Introna interprète tous les personnages de cette aventure extraordinaire avec un époustouflant talent et un art consommé de la modulation. Les tableaux créés par les correspondances sensorielles et la complémentarité réceptive sont élégants et prenants. L’ensemble compose un spectacle de très belle facture, aussi intelligemment agencé qu’esthétiquement abouti.
 
Catherine Robert


 

Le Pays des aveugles, d’après la nouvelle d’Herbert George Wells ; adaptation et mise en scène de Nino D’Introna. En tournée en France. Spectacle vu au Théâtre Nouvelle Génération / CDN de Lyon. Durée : 1h.

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