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Théâtre - Critique

« Petit Eyolf » d’Ibsen dans la belle mise en scène de Sylvain Maurice : une partition épurée, délicate et poignante

« Petit Eyolf » d’Ibsen dans la belle mise en scène de Sylvain Maurice : une partition épurée, délicate et poignante - Critique sortie Théâtre Ivry-sur-Seine _Théâtre des Quartiers d’Ivry
© Christophe Raynaud de Lage Alfred et Rita (David Clavel et Sophie Rodrigues) dans Petit Eyolf, mise en scène par Sylvain Maurice

Théâtre des Quartiers d’Ivry / De Henrik Ibsen / scénographie et mise en scène Sylvain Maurice

Publié le 29 février 2024 - N° 319

Après le succès de La Campagne de Martin Crimp, Sylvain Maurice met en scène une pièce d’Ibsen qui à nouveau autopsie le déchirement d’un couple à partir de l’irruption de la tragédie, jusqu’à une possible reconstruction. Une partition théâtrale épurée, sensible et poignante, qui grâce à la qualité de la mise en scène et à la finesse de l’interprétation, résonne philosophiquement et politiquement. 

Il est saisissant de constater à quel point le texte d’Ibsen, quoique ancré dans l’espace-temps et les normes de la société du XIXe siècle, résonne à notre époque, révélant d’éternelles failles de la psyché humaine tout en éclairant la douloureuse dialectique qui se noue entre le surgissement de l’absurde et la quête de sens. Moins monté qu’Hedda Gabler (1890) ou Maison de poupée (1879), Petit Eyolf (1894) interroge avec acuité la thématique du rapport au passé et aux souffrances infligées par la vie, avec, à nouveau, une figure féminine centrale désireuse de transformer l’existant. La noyade accidentelle du petit Eyolf près de l’embarcadère à côté de la maison plonge la famille dans des affres qui révèlent de flagrants dysfonctionnements jusqu’à ce qu’advienne, finalement, une possible forme de reconstruction. Avant cette tragédie, le petit garçon avait déjà été frappé par le malheur, puisque suite à une chute survenue alors qu’il était bébé, il était devenu infirme. La belle mise en scène de Sylvain Maurice, comme toujours excellent directeur d’acteurs, s’appuie de manière précise et aiguë sur le jeu théâtral, sur les dialogues et relations tissés par le texte, où affleurent les non-dits et où s’exprime, sans filtre ou en filigrane, une toxicité diffuse et protéiforme. Ici l’amour conjugal et l’amour filial se livrent une bataille trouble et malsaine.

 De la souffrance à la transformation de soi

 Après le premier acte qui s’achève par le drame, les deux actes qui suivent autopsient le drame et les relations familiales. Un dévoilement et un dépassement s’enclenchent et peu à peu s’affirment. Remarquablement menés, ils captivent, interrogent profondément sur les impasses et les manques. Rita, la mère pathologiquement possessive, veut son mari tout à elle sans que ni l’enfant ni la demi-sœur d’Alfred n’entravent ses désirs. Sophie Rodrigues l’interprète avec intensité et nuance. Alfred, le père qui fut souvent absent car voué à l’écriture de son livre sur la responsabilité humaine, revient de manière inopinée au début de la pièce pour consacrer du temps à son fils et tenter d’assumer sa responsabilité de père. David Clavel l’incarne avec finesse et agilité, sans aucun surplomb. Cet homme vit en quelque sorte coincé entre deux femmes : Rita et Asta, sa demi-sœur, qui représente une forme rassurante d’authenticité et sérénité. Constance Larrieu interprète Asta très joliment et très justement. Maël Besnard confère à Borgheim, l’amoureux d’Asta, une normalité et une franchise qui font naître une dimension comique. Nadine Berland (la dame aux rats) et Murielle Martinelli (Eyolf) complètent avec talent la distribution. Avec en fond de scène un cyclo comme un ciel qui se colore, la scénographie très épurée, quasi abstraite, laisse la place aux mots et aux pensées, met en valeur quelques éléments qui accompagnent avec élégance la trame narrative – du fauteuil du salon au banc face au fjord jusqu’au ponton de bois qui évoque un potentiel départ. À la fin, qu’en est-il de cette volonté de dépassement de la souffrance qui semble s’emparer d’Alfred et Rita, et redonner sens à cette fameuse responsabilité humaine sur laquelle Alfred a tant travaillé ? Mirage d’un soir ou projet concret ? En lien avec le disparu, la fin s’ouvre vers un espoir possible et un horizon politique…

Agnès Santi

A propos de l'événement

Petit Eyolf
du vendredi 8 mars 2024 au samedi 16 mars 2024
_Théâtre des Quartiers d’Ivry
1 rue Raspail, 94200 Ivry-sur-Seine

du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h dimanche à 16h, relâche le lundi. Tél : 01 43 90 49 49. Durée : 1h30.

Le 21 mars à L’Archipel, Scène de territoire de Fouesnant

Du 9 au 11 avril au Quai- CDN d’Angers.

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