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Théâtre - Critique

« L’Enfant brûlé », le thriller ordinaire, terrifiant et fascinant de Stig Dagerman, mis en scène par Noëmie Ksicova

« L’Enfant brûlé », le thriller ordinaire, terrifiant et fascinant de Stig Dagerman, mis en scène par Noëmie Ksicova - Critique sortie Théâtre Paris Odéon – Ateliers Berthier
Lumîr Brabant, Vincent Dissez, Théo Oliveira Machado et Cécile Péricone dans L’Enfant brûlé. © Jean-Louis Fernandez

Odéon – Théâtre de l’Europe / d’après le roman de Stig Dagerman / adaptation et mise en scène de Noëmie Ksicova

Publié le 29 février 2024 - N° 319

Noëmie Ksicova orchestre avec brio la descente aux enfers de Bengt, que le chagrin transforme en bourreau. Quatre remarquables comédiens pour un thriller ordinaire, terrifiant et fascinant.

Meursault, le soleil en moins… Même amorce chez Stig Dagerman que chez Camus, pour deux romans quasi contemporains qui provoquent, l’un et l’autre, crainte et tremblement. La mère de Bengt meurt. Bengt semble inconsolable. Méthodiquement et inexorablement, il fait payer ses proches : son père, Knut, qui a l’audace de vouloir continuer à être heureux, sa fiancée, Bérit, trop tendre pour échapper à son emprise, sa nouvelle belle-mère, Gun, sorte de Phèdre australe séduite par un gendre pervers. On comprend vite que Bengt ne va pas bien, mais l’on met du temps à comprendre que cet héautontimorouménos qui « frappe sans colère et sans haine, comme un boucher », est à la fois « la plaie et le couteau ». Si l’on a d’abord pitié de Bengt – comment ne pas plaindre les orphelins – on en vient progressivement à le haïr. Noëmie Ksicova et les excellents comédiens qu’elle réunit dans cette angoissante spirale théâtrale installent magistralement les conditions du malaise et de l’épouvante. Lumîr Brabant, Vincent Dissez, Théo Oliveira Machado et Cécile Péricone sont éblouissants et terribles. À chaque fin de séquence, on se demande avec toujours plus d’inquiétude qui sera la victime de cette épopée psychotique, où celui qui se croit pur s’en prend aux innocents. Rien n’échappe à sa tyrannie jalouse, pas même le chien, pas même lui.

Topique de l’angoisse

Noëmie Ksicova a adapté le texte de Stig Dagerman en allégeant sa trame et en simplifiant sa langue, ne conservant de la partition originelle que les lettres émétiques par lesquelles Bengt justifie l’odieux traitement qu’il impose à ceux qui l’aiment. On est en Suède et l’on pourrait se croire chez Bergman, à ceci près que le malheur ne se tricote pas ici entre adultes consentants. Dans l’histoire que raconte Dagerman, l’ogre est l’enfant : ce renversement fait frémir, tant on a l’habitude de croire que tout est la faute de Saturne ! Qui est responsable, alors ? Alma, la mère défunte, a élevé ce serpent. Qui était-elle ? Quelle est la mère qui élève Œdipe en flattant son complexe ? Le dialogue avec lequel s’ouvre la pièce le suggère habilement aux spectateurs d’emblée prévenus : pas simple de retrouver papa au salon quand son fils réclame que maman demeure à ses côtés pour la nuit… La composition musicale et la création sonore de Bruno Maman sont d’une extraordinaire acuité et participent très largement à installer l’effroi au sein de l’ordinaire. Repas pris en commun, vacances en famille : tout pourrait se passer au mieux si la porte entre l’antichambre de l’inconscient et le salon demeurait hermétiquement fermée. Mais le crissement des pas dans la neige, les cliquetis des couverts, le clapotis de l’eau sonnent comme des alarmes et donnent l’impression que le refoulé et les pulsions cherchent à entrer. En notre époque de ressentiment, la question est posée à chacun : comment garder la porte ?

Catherine Robert

A propos de l'événement

du mardi 27 février 2024 au dimanche 17 mars 2024
Odéon – Ateliers Berthier
1, rue André-Suarès, 75017 Paris

Du mardi au samedi à 20h ; dimanche à 15h. Tél. : 01 44 85 40 40. Durée : 2h20.

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