La Terrasse

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Opéra - Critique

Peter Sellars porte « Castor et Pollux » au firmament

Peter Sellars porte « Castor et Pollux » au firmament - Critique sortie Classique / Opéra Paris 75009 Opéra Garnier
CASTOR ET POLLUX - Compositeur : Jean-Philippe RAMEAU - Livret : Pierre-Joseph BERNARD - Direction musicale : Teodor CURRENTZIS - Mise en scene : Peter SELLARS - Choregraphe principal : Cal HUNT - Video : Alex MacINNIS - Decors : Joelle AOUN - Costumes : Camille ASSAF - Lumiere : James F. INGALLS - Dramaturgie : Antonio CUENCA RUIZ - Choregraphie : Francoise GRES - Chef des choeurs : Vitaly POLONSKY - Danse : Christopher BEAUBRUN - Jin LEE BAOBEI - Andrew COLEMAN (dit Finesse) - Xavier DAYS (dit X) - Ablaye DIOP - Ange EMMANUEL (dit Kendrickble) - Kenza KABISSO - Joshua MORALES (dit Sage) - Tom MORNET BOUCHIBA (dit Tomorrow) - Cordell PURNELL (dit Storm) - Sarah QUERUT - Edwin SACO (dit Jamsy) - Oceane VALENCE - Orchestre et choeurs : Utopia - Le 16 01 2025 - Au Palais Garnier - Photo : Vincent PONTET -

Palais Garnier / tragédie lyrique

Publié le 22 janvier 2025 - N° 329

La tragédie lyrique de Rameau, dans sa version originale de 1737, est magnifiée par la mise en scène de Peter Sellars, par l’harmonie parfaite de la scénographie, de la danse, du chant et de l’orchestre.

Le théâtre de Peter Sellars s’appuie le plus souvent sur une double dimension : le geste, sur scène, et, au-delà, la profondeur. Celle-ci est de plus en plus dévolue, au fil des années, à un travail vidéographique ; celui réalisé par Alex MacInnis pour Castor et Pollux, poursuivant la démarche déjà élaborée pour Le Roman de Fauvel en 2022 au Châtelet, en est le parfait aboutissement. Ce jeu entre la scène et un lointain projeté débute avant même le prologue. La scène, rideau levé, qui accueille les spectateurs quand ils entrent dans la salle, situe d’emblée l’action à venir dans notre époque, sans craindre la caricature : un lit défait, une cabine de douche, un canapé, une cuisine avec placard et réfrigérateur, et en arrière-plan des hauts immeubles décrépits. Si ce décor ne change pas au long des cinq actes, les jeux d’ombres et de lumières (travail minutieux de James F. Ingalls) lui donnent tour à tour des airs de vestiges antiques ou de scène onirique. L’écran, en revanche, délaissant pour un temps les lieux déshérités, prendra à la lettre la fable cosmique des Dioscures bien présente dans l’opéra de Rameau, lui donnant littéralement une portée universelle. De même, les « Enfers unis », où Pollux, l’immortel, descend pour y prendre la place de Castor, son frère mortel victime de la guerre, ne sont pas ici un lieu défini, plutôt l’envers de cette terre, un espace imaginaire dont on chercherait en vain la topographie dans ces très belles images où se superposent constellations urbaines et célestes.

Appropriation de la danse baroque

De ces éléments d’une scénographie superbement articulée, Peter Sellars fait sourdre la tragédie – humaine, divine et infernale – par les forces conjuguées des danseurs, du chœur et des solistes. Omniprésente dans la musique, la danse envahit le plateau. Les artistes réunis autour du danseur et chorégraphe Cal Hunt – présent dans la production des Indes galantes en 2019 – et le type de danse convoqué, le flexing, donnent corps aux scènes de combat comme aux danses des morts. Il faut les voir surgir de chaque élément de décor, devenant au troisième acte autant de portes vers l’outre-monde. On y voit une appropriation stupéfiante de l’esprit de la danse baroque, épousant avec une inépuisable énergie la partition de Rameau et agissant en parfaite interaction avec le Chœur Utopia, qui figure tout simplement les Arts, les Plaisirs et l’Humanité, et s’avère très touchant dans ses adresses aux dieux – il est lui aussi à la fois gestes et profondeur. Dans ce théâtre absolu, les solistes ont tout l’espace pour exprimer leur art, à commencer par la soprano Jeanine de Bique en Télaïre amante de Castor, aimée de Pollux. Sa voix porte toutes les nuances de l’émotion ; elle paraît presque fragile au premier acte (« Tristes apprêts, pâles flambeaux ») quand elle est au bord de renoncer à la vie mais se montre vaillante tout au long de l’ouvrage sans jamais se départir de sa lumière, de sa limpidité – et d’une articulation parfaite du français partagée par toute la distribution. Le ténor Reinoud van Mechelen est lui aussi vocalement impressionnant dans le rôle de Castor – relativement réduit puisqu’il ne reparaît qu’aux deux derniers actes, une fois sorti des Enfers – où il ne se départit jamais de son timbre éclatant. Le personnage de Pollux, plus complexe sinon versatile, est particulièrement bien servi par Marc Mauillon tandis que Stéphanie d’Oustrac campe une Phébé très dramatique – dans un rôle difficile que la scène aux Enfers rend particulièrement intense. Chaque rôle, au fond, se voir conférer une présence forte tant par la mise en scène que par la qualité vocale du plateau : Mars puis Jupiter pétri d’humanité de Nicholas Newton, Vénus de Natalia Smirnova aux aigus radieux, superbe Amour du jeune ténor Laurence Kilsby ou encore très touchante Minerve de la soprano Claire Antoine. Dans la fosse, Teodor Currentzis et l’Orchestre Utopia, une formation ad hoc réunie au gré des projets, portent la musique de Rameau à l’incandescence avec un souffle incroyable et une puissante identité sonore. La musique des sphères dont le compositeur a probablement rêvé pour sa tragédie lyrique.

Jean-Guillaume Lebrun

A propos de l'événement

Castor et Pollux
du lundi 20 janvier 2025 au dimanche 23 février 2025
Opéra Garnier
Place de l’Opéra, 75009 Paris.

Les 20, 23, 25, 28, 30 janvier, 1er, 7, 11, 13, 15, 19 février à 19h30, dimanche 23 février à 14h30. Tél. : 08 92 89 90 90.

Durée : 3h20 avec 1 entracte.

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