Je danse parce que je me méfie des mots
Un portrait intimiste dans lequel Kaori Ito [...]
Le Ballet de Lorraine dirigé par Petter Jacobsson propose deux programmes riches et surprenants, au Théâtre national de Chaillot, dont le fameux Relâche (Satie, Picabia, Börlin), jamais repris depuis sa création par les Ballets Suédois en 1924.
« Ballet instantanéiste en deux actes, un entr‘acte et la queue du chien » Il ne nous restait de ce mystérieux Relâche que la légende, persistante pourtant grâce au film projeté en son milieu : Entr’acte de René Clair. « Apportez des lunettes noires et de quoi vous boucher les oreilles », indiquaient les auteurs du ballet. Quand le rideau s’ouvre aujourd’hui, le décor ne provoque plus la stupeur mais l’émerveillement, grâce à un immense panneau sur lequel sont fixés 484 puissants réflecteurs. La suite est un vrai chef-d’œuvre de liberté, d’impertinence, d’excentricités en tous genres. C’est aussi drôle et foutraque qu’ingénieux et poétique. « Si cela ne vous plaît pas, vous êtes libre de foutre le camp », est-il écrit sur le rideau de scène. « Allez donc à l’Opéra ou au Théâtre Français, vous serez ravis, pauvres malheureux » « Erik Satie est le plus grand musicien du monde »… Merce Cunningham adorait Satie. S’est-il inspiré de Relâche, « une œuvre homogène et exacte » qui fait « dégringoler tous les préjugés » (selon Fernand Léger) ? Possible. Et voilà la boucle bouclée. Petter Jacobsson associe dans le même programme un somptueux Sounddance (1975) signé Merce Cunningham. Les danseurs s’élancent sur la musique de David Tudor dans cette pièce aussi virtuose que complexe. Noé Soulier, avec Corps de Ballet, apporte à ce programme « Paris/New-York/Paris » sa touche personnelle en dynamitant le ballet classique de l’intérieur de façon amusante et intelligente.
Des pointes et du ballet !
Le deuxième programme joue également de correspondances et de clins d’œil. Ainsi de Rose-variation de Mathilde Monnier qui reprend le ballet là où s’arrête Soulier. Toutes les figures y sont, mais s’étalent à l’horizontale, dans de périlleux déséquilibres, se moquant plaisamment des codes de l’élévation. En miroir, le Devoted de François Chaignaud et Cecilia Bengoléa. Les deux pièces s’attaquent à cet emblème de la danse classique que sont les pointes. Mais là où Monnier les utilise à rebours, les danseuses s’écrasant au sol comme des grenouilles, Bengolea – Chaignaud traitent de l’effort et du dépassement de soi que suppose cet accessoire, mêlant les lignes classiques à de vertigineux tourbillons qui se désagrègent ou se déglinguent sous la poussée des pointes. Hok d’Alban Richard s’insère à merveille dans cet ensemble. Son titre vient de « Hok », frapper, marteler, en anglais, et de « Hoketus », qui signifie hoquet et nomme une composition médiévale sophistiquée, en voix alternées. Comme dans Rose-variation, les danseurs se rangent sur une ligne face au public et commencent par des mouvements sommaires qui se décalent, en canon. Peu à peu, une polyrythmie implacable s’installe, impulsant une gestuelle quasi machinique dans sa régularité sans pitié… Jusqu’à ce que lignes et courbes ressemblent à des vols d’oiseaux en un ballet hypnotisant, de courses, de hordes, de nébuleuses. Remarquable !
Agnès Izrine
Paris/New-York/Paris : du 6 au 8 janvier 2016, du mercredi au vendredi à 20h30, jeudi à 19h30. Durée 2h00. Trois Pièces : du 13 au 15 janvier 2016, mercredi, vendredi à 20h30, jeudi à 19h30. Durée : 2h15. Tél. : 01 53 65 30 00. http://theatre-chaillot.fr
Spectacles vus à la création en 2014 et 2015 à l’Opéra national de Lorraine à Nancy.
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