Les Petites Reines de Clémentine Beauvais par Justine Heynemann
Une comédie sur la représentation du corps [...]
A 72 ans, André Dussollier interprète Novecento tambour battant avec la complicité d’un quartet de jazz.
Quelle énergie ! Il en faut pour interpréter durant plus d’une heure le long monologue d’Alessandro Baricco au cours duquel un trompettiste narre l’histoire de celui qui fut son ami : Danny Boodman T.D. Lemon, dit « Novecento ». Né et abandonné en 1900 sur le piano d’un paquebot transatlantique, Novecento est recueilli par l’équipage avant de devenir un pianiste de génie, faisant son miel de toute musique : le jazz, le ragtime ou les accords sophistiqués des premières classes aussi bien que les chansons populaires des troisièmes classes. Un destin singulier, marqué par le refus de descendre à terre. Une seule fois, la tentation gagne Novecento, mais il renonce au bout de deux marches : « La terre, c’est un bateau trop grand pour moi. C’est un trop long voyage. Une femme trop belle. Un parfum trop fort. Une musique que je ne sais pas jouer. » Dans la mise en scène d’André Dussollier, cet escalier, mobile, est central. Le comédien le déplace selon les espaces qu’il souhaite matérialiser : ici, les marches mènent au quai, là à la salle de bal, là encore à la salle des machines. Elles deviennent le symbole du choix auquel est confronté Novecento : découvrir le monde ou rester attaché à son piano ? La palette d’André Dussollier (le comédien cette fois) est si large qu’elle laisse le champ ouvert au spectateur. On peut par moments éprouver de la condescendance vis-à-vis de ce pianiste qui refuse de descendre à quai pour se frotter à l’inconnu. À d’autres, on est tenté d’y percevoir de la sagesse : qu’est-ce que le monde pourrait lui apporter de plus que le microcosme du paquebot et du piano ?
Être un homme libre
Au fond, semble nous dire André Dussollier, l’important n’est pas d’affirmer que telle ou telle option est la plus juste. L’important est de prendre sa décision en conscience et de l’accepter. C’est cela, être un homme libre. Et cette liberté prend d’autant plus corps que le comédien joue avec un réel plaisir et une immense générosité. Entre débit ultrarapide et silences distillés avec pertinence, sa voix si familière et musicale embarque les spectateurs d’un bout à l’autre du spectacle. C’est elle qui donne le rythme et déploie le texte sans aucune fausse note. Si Alessandro Baricco n’était au départ pas favorable à la présence de musiciens sur scène, on comprend qu’André Dussollier ait réussi à le convaincre, grâce au formidable quartet de jazz qui l’accompagne (Elio di Tanna au piano, Sylvain Gontard ou Gilles Relisieux à la trompette, Olivier Andrès à la contrebasse et Michel Bocchi à la batterie). Jamais redondant, ce petit groupe prolonge l’émotion du récit. Avec les magnifiques lumières de Laurent Castaingt, auxquelles s’ajoutent parfois des projections évoquant les feux de la ville ou l’immense océan, l’illusion est telle qu’on aimerait bien vivre sur ce paquebot.
Isabelle Stibbe
Du 9 janvier au 24 février : du mardi au vendredi à 20h, samedi 20h30, dimanche 16h. Du 28 février au 31 mars : du jeudi au vendredi 20h, samedi 20h30, dimanche 16h. Tél. : 01 42 08 00 32. Durée : 1h15.
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