Je crois que dehors c’est le printemps de Concita de Gregorio, mis en scène de Giorgio Barberio Corsetti et Gaia Saitta
Grâce à la mise en scène de Giorgio Barberio [...]
Metteure en scène, pianiste et comédienne, Séverine Chavrier porte à la scène l’écriture décapante et la rage véhémente de Thomas Bernhard. Une rage active et outrancière engagée sur tous les fronts – politique, artistique et intime.
« Une manière de penser, de dire, de voir, de crier en silence, de vociférer du dedans, de ruminer en parlant, sûrement pas un geste formel et musicalement immaculé » : Séverine Chavrier cherche à toucher à travers le jeu théâtral la rage véhémente de l’auteur autrichien. Il faut un certain courage pour aborder l’écriture et le geste artistique de Thomas Bernhard, car affronter avec sincérité une telle fureur constitue nécessairement une prise de risque et un engagement personnel. Un engagement qui interroge l’endroit même du plateau et de l’incarnation comme tentative et comme signe extérieur d’un tourment implacable et d’une colère infinie. D’une faillite aussi : celle de l’Histoire, de l’Europe (évidemment de l’Autriche !), de la famille… Obsession, ressassement, exagération, étouffement, liquidation, tyrannie… : autant de thèmes bernhardiens qui agitent et structurent cette mise en scène exigeante et sans concession. Malgré quelques traits d’humour souvent dus à un décalage ou à l’outrance des comportements, ce sont les mécanismes de la fatalité et de la catastrophe qui sont à l’œuvre. Avec sur scène un trio familial issu de Déjeuner chez Wittgenstein, œuvre parue sous le titre Ritter, Dene, Voss, du nom de trois acteurs que Thomas Bernhard admirait et qui créèrent plusieurs de ses pièces. Le philosophe, être neurasthénique mêlant fiction et éléments de réel, est inspiré par Ludwig Wittgenstein (1889-1951), auteur du Tractatus logico-philosophicus, patient du Docteur Frege.
Exagération et extériorisation
Au début de la pièce, les deux sœurs (comédiennes de leur état) chuchotent dans la tranquillité de la nuit. Au centre de leur conversation et de leur désaccord, ce frère qu’elles ont sorti de Steinhof, asile psychiatrique de la banlieue viennoise. D’emblée, la scénographie révèle l’ampleur du désastre : vinyles éparpillés, renard empaillé, quelques meubles, amas de vaisselle cassée qui jonche le sol… La suite ne recollera pas les morceaux mais en brisera d’autres. L’œuvre s’insurge aussi contre une culture muséifiée et interroge le rapport à l’art : à la peinture, à la musique – le piano et l’univers sonore ont un rôle central dans la pièce – et au théâtre. Au cœur du fracas, la mise en scène parvient à développer dans cette fratrie abîmée diverses formes de contradiction entre amour et haine, soumission et tyrannie. Ce qui domine, c’est en toute logique l’extériorisation insistante et parfois dérangeante de l’infirmité fondamentale des personnages. A la frontière de l’illusion théâtrale et de la collision avec le réel, ce théâtre du ressassement peut parfois s’avérer pénible par son outrance. Séverine Chavrier, Marie Bos et Laurent Papot impressionnent par leur engagement et la qualité de leur interprétation, qui interrogent la nature singulière de tout acte artistique.
Agnès Santi
Du 5 au 9 novembre à 20h30. Durée : 2h55 avec entracte. Tél : 01 56 08 33 88. Spectacle vu au Festival Programme Commun au Théâtre Vidy-Lausanne en 2016.
Grâce à la mise en scène de Giorgio Barberio [...]