La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

« Notre Comédie humaine » ou les terribles aventures de Lucien de Rubempré par le nouveau théâtre populaire

« Notre Comédie humaine » ou les terribles aventures de Lucien de Rubempré par le nouveau théâtre populaire - Critique sortie Théâtre Paris La Tempête - Cartoucherie
Les Belles Illusions de la jeunesse, première partie de Notre Comédie humaine. © Christophe Raynaud de Lage

d’après Illusions perdues et Splendeurs et misères des courtisanes, d’Honoré de Balzac / mise en scène d’Emilien Diard-Detœuf, Léo Cohen-Paperman, Lazare Herson-Macarel et Pauline Bolcatto

Publié le 24 octobre 2024 - N° 326

Nouveau marathon pour le NTP, créé à l’été 2024 dans le jardin sous les étoiles de Fontaine-Guérin en Maine-et-Loire. Trois épisodes et un intermède autour de Balzac et des terribles aventures de Lucien de Rubempré.

Malheureux sont les pays qui ont besoin de héros, plus malheureuse encore, l’époque qui se retrouve en Balzac, surtout dans Illusions perdues. L’ascension et la chute de Lucien de Rubempré se passent sous la Restauration, règne des esprits étriqués et mesquins, d’une presse compromise, de bourgeois imbéciles, d’aristocrates accrochés à leur particule et aux hochets distribués par un prince grotesque. Comment la France actuelle peut-elle ne pas se reconnaître dans cette époque de gabegie politique et de mise à l’encan de la culture, où les relations sont réduites à n’être que de simples rapports d’argent ? Dans leur intermède en trois parties (Paradis, Purgatoire et Enfer), Pauline Bolcatto et Sacha Todorov lèvent hardiment le voile qui pourrait tromper les naïfs : Balzac parle clair au sordide aujourd’hui qui a définitivement réussi à vendre ce qui ne s’achète pas. Les trois spectacles qui s’enchaînent enfoncent le clou. Lucien, médiocre poète de province devenu giton de la patronne culturelle d’Angoulême, fuit l’opprobre pour gagner Paris (Les Belles Illusions de la jeunesse, opérette écrite et mise en scène par Emilien Diard-Detœuf et mise en musique par Gabriel Philippot). Il y navigue entre les âmes pures du Cénacle, les cœurs souillés du journalisme et les faux-culs de la bonne société, et trébuche du haut du pavé au ruisseau où crève la lorette dont il s’est entiché (Illusions perdues, comédie grinçante écrite et mise en scène par Léo Cohen-Paperman). Sauvé du suicide par l’ignoble Vautrin, il revient pour achever de choir en louant sa maîtresse à la finance (Splendeurs et misères, tragédie écrite et mise en scène par Lazare Herson-Macarel).

Rire de tout et être obligé d’en pleurer

Si l’on rit à l’opérette, qui croque avec esprit les travers d’une province ridicule, si l’on sourit encore un peu à la comédie, où le vertueux Daniel d’Arthez est sentencieux en sa pureté, les journalistes d’un narcissisme désopilant et Coralie bien moins gentille que chez Balzac, on traverse la tragédie avec une terreur mêlée de dégoût. Cette Comédie humaine est nôtre puisque le NTP nous la tend comme un miroir : on frémit de constater que « les difformités aux proportions effrayantes et grotesques » chères à Balzac sont devenues notre ordinaire. Voilà un théâtre qui égratigne et soufflète, transformant la leçon de choses de l’entomologie sociale en leçon de morale. La parabole est d’autant plus efficace qu’elle est servie par des comédiens protéiformes, qui passent allègrement d’un rôle à l’autre et prouvent – s’ils le fallait encore – que le NTP compte dans ses rangs quelques-uns des meilleurs comédiens de leur génération. Valentin Boraud, Philippe Canales, Emilien Diard-Detœuf, Thomas Durand, Clovis Fouin, Joseph Fourez, Elsa Grzeszczak, Lazare Herson-Macarel, Frédéric Jessua, Kenza Laala, Flannan Obé, Morgane Nairaud, Julien Romelard en alternance avec Samy Zerrouki, Sacha Todorov et Charlotte Van Bervesselès sont tous remarquables d’investissement, d’inventivité et d’intensité. De la bonbonnière de l’opérette au plateau nu de l’enfer tragique, en passant par les gradins sociaux de la comédie, on suit avec le toujours même grand intérêt les aventures de cette troupe d’explorateurs théâtraux qui attestent, de saison en saison, de la solidité de leur engagement et de la fécondité de leur projet collectif.

Catherine Robert

A propos de l'événement

Notre Comédie humaine
du samedi 2 novembre 2024 au dimanche 24 novembre 2024
La Tempête - Cartoucherie
route du Champ-de-Manœuvre, 75012 Paris

Intégrale samedi et dimanche à 15h (durée : 6h30) ; Les Belles Illusions de la jeunesse, mercredi à 20h (durée : 1h25). Illusions perdues, jeudi à 20h (durée : 1h55). Splendeurs et misères, vendredi à 20h (durée : 1h50). Tél. : 01 43 28 36 36. Tournée : du 11 au 14 décembre au Quai – CDN d’Angers (49) ; du 29 janvier au 1er février au Théâtre de Caen. Spectacle vu à La Criée, CDN de Marseille.

Le Ciel, la nuit et la fête (Le Tartuffe / Dom Juan / Psyché), créé au Festival d’Avignon en 2021, est en tournée du 15 au 18 janvier au Trident, Scène nationale de Cherbourg, du 22 au 25 janvier au Théâtre de Caen et du 5 au 8 février à La Commune, CDN d’Aubervilliers. La XVIIe édition du Festival du NTP se tiendra du 12 au 28 août 2025.

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