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Théâtre - Critique

Muriel Mayette-Holtz met en scène « Phèdre » aux Arènes de Cimiez : la belle et tragique avancée de la souffrance amoureuse

Muriel Mayette-Holtz met en scène « Phèdre » aux Arènes de Cimiez : la belle et tragique avancée de la souffrance amoureuse - Critique sortie Théâtre Arènes de Cimiez
© Meghann Stanley Nicolas Maury et Ève Pereur dans les rôles d’Oenone et Phèdre

Arènes de Cimiez à Nice / texte de Racine / mise en scène Muriel Mayette-Holtz

Publié le 21 juin 2024 - N° 322

Muriel Mayette-Holtz, directrice du Théâtre national de Nice, lance cet été un Festival de Tragédies aux Arènes de Cimiez, sublime site antique inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco. Elle propose une mise en scène radieuse et limpide de Phèdre, où s’expriment la beauté de la langue et l’éternité des tourments du cœur. Avec Ève Pereur, Nicolas Maury, Nicolas Bouchaud, Jacky Ido et Augustin Bouchacourt.

« Un rendez-vous des larmes. » Ou plutôt « un rendez-vous du cœur. » C’est ainsi que la directrice du Théâtre national de Nice définit le Festival de Tragédies qu’elle inaugure au sein des sublimes Arènes de Cimiez. Bordée par des micocouliers et un exceptionnel cyprès en vigie majestueuse, la scène ovale offre un écrin minéral de toute beauté. « Nous avons besoin de célébrer l’humanité dans ce qu’elle a de plus beau et de plus terrifiant : la puissance de l’âme, l’énergie sacrée des sentiments. » confie la metteuse en scène et directrice du Théâtre national de Nice. Elle a choisi Phèdre, classique parmi les classiques tant de fois monté, dont elle renouvelle la force dramatique en concentrant le tragique ballet des affects autour d’une jeune Phèdre foudroyée par l’amour, en éclairant particulièrement et avec réussite la relation entre Phèdre et Œnone. Phèdre et Hippolyte sont ici de la même génération, elle n’est pas cette épouse en proie à un désir transgressif et incestueux, mais une jeune femme mariée trop tôt à un mari volage, emportée par la fureur de ses feux autant que dévorée par le remords. En proie à son désir, à ses tourments intérieurs, Ève Pereur interprète Phèdre avec fougue et passion, dans un mélange touchant d’exaltation, de désespoir et de vulnérabilité. Sa jeunesse rend d’autant plus crédible la relation captivante qui se déploie entre Phèdre et Œnone. Loin de la figure de la nounou dévouée, cette dernière se révèle grande amoureuse, possessive et prête à tout, jusqu’au suicide. Caressante, calculatrice et autoritaire, elle exerce son emprise. L’interprétation fine et juste de Nicolas Maury instille un trouble vénéneux, tout en méandres et effets de rupture.

Universalité de la souffrance amoureuse

En premier lieu Jacky Ido et sa belle présence introduisent la tragédie par une adresse directe au public, en alexandrins d’aujourd’hui, invitation à partager ici et maintenant le spectacle des passions. Il convainc en coryphée et en Théramène, évitant le piège de l’artificialité. Comme dans Bérénice (2022), la metteuse en scène propose une version condensée de la partition de Racine, dont sont absentes Aricie et sa suivante. Dans l’espace nu, délimité par un escalier et des tapis rouges comme un chemin de pouvoir – ou de passion mortifère – surgit Hippolyte, fils de Thésée et de la Reine des Amazones, en majesté, à cheval, signifiant son rang d’héritier et l’élan de la jeunesse. Épris de la captive Aricie, ennemie de son père, il sera sacrifié par le mensonge d’ Œnone, par la crédulité d’un père aveugle. Augustin Bouchacourt l’incarne avec élégance. Quant à Thésée, engoncé dans son costume d’apparat, l’excellent Nicolas Bouchaud lui donne vie dans une forme de rigidité guerrière. Handicapé de l’amour, prompt à la colère, Thésée finira par se confronter à l’horreur de la vérité. Au-delà de l’héritage des lignées mythologiques, au-delà des codes et des enjeux d’une royauté en crise, la mise en scène fait résonner la beauté de la langue et l’universalité de la souffrance amoureuse. Un théâtre exigeant, émouvant et populaire. À voir ensuite la sublime Andromaque de Stéphane Braunschweig, Hélène après la Chute de Simon Abkarian, Calek par Charles Berling, Notre Homère par Jacques Bonnaffé.  

Agnès Santi

A propos de l'événement

Phèdre
du mercredi 19 juin 2024 au samedi 22 juin 2024
Arènes de Cimiez
164 avenue des Arènes de Cimiez, 06000 Nice

à 21h. Durée : 1h30.

Festival de Tragédies, du 19 juin au 5 juillet 2024.

Tél : 04 93 13 90 90. www.tnn.fr

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