Je suis drôle
Après sa mise en scène de Pollock, en 2009, [...]
Corbeaux, dragons, vieux parchemins… La compagnie niçoise Collectif 8 mêle les alexandrins de Pierre Corneille à un univers d’heroic fantasy. Une Médée qui se noie dans une débauche d’effets numériques.
C’est le destin d’une amante enflammée, entièrement offerte à sa passion, que celui de la magicienne Médée. Petite-fille du soleil, fille du roi de Colchide, elle trahit son père, tue et découpe son propre frère en morceaux pour permettre à Jason, héros dont elle est tombée amoureuse, de s’emparer de la toison d’or. Suivant celui qu’elle aime de royaume en royaume, elle se dédie à lui, met au monde deux enfants, avant de se voir brutalement répudiée en faveur de Créuse, la fille du roi Créon. C’est le récit de cette trahison amoureuse et de la vengeance terrible qui en résulte que Pierre Corneille nous livre dans ce Médée en alexandrins (il s’agit de la première tragédie de l’auteur, créée en 1635, deux ans avant Le Cid). « Je vous donne Médée, toute méchante qu’elle est, et ne vous dirai rien pour sa justification », écrit le dramaturge au sein de la dédicace qui précède la pièce. En reproduisant cette phrase, et celles qui la suivent, sur une image de parchemin projetée à l’avant-scène, la création de Paulo Correia nous plonge, dès le début de la représentation, dans une atmosphère sépulcrale et rugissante d’heroic fantasy.
Deux ans avant Le Cid, la première tragédie de Corneille
Envolées de corbeaux. Ballets de dragons. Coulées de sang. Projection de dessins et d’éléments de gravures empruntés à l’illustrateur Gustave Doré (1832-1883)… Le moins que l’on puisse dire, c’est que les membres du Collectif 8 ne font pas ici dans le dépouillement. Si on ajoute à cette profusion d’images en mouvement les vrombissements quasi incessants de la bande sonore, les effets de résonnances, les inserts de voix off sentencieux, on se fait une idée assez précise de l’impression de surcharge que donne cette Médée aux allures de jeu vidéo. Bien sûr, la dimension surnaturelle du mythe pose la question des moyens de représentation du merveilleux. Mais l’usage systématique des images et des sons numériques finit non seulement par lasser, mais par étouffer le théâtre. Pour tenter d’exister face à cette débauche d’effets, les comédiens (Gaële Boghossian, Laurent Chouteau, Stéphane Kordylas, Stéphane Naigeon, Fabrice Pierre, Amandine Pudlo) n’ont pas d’alternative : ils doivent forcer le jeu. Leurs cris, leurs rires, leurs contorsions finissent d’alourdir cette proposition pléthorique.
Manuel Piolat Soleymat