La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Main dans la main

Main dans la main - Critique sortie Théâtre
Légende photo : Une jeune génération agressive, entre massacre et automutilation.

Publié le 10 février 2008

Mise en scène désincarnée de l’œuvre piquante de la Suédoise Sofia Fredén, dont le regard acéré sur les problèmes et les angoisses des petits enfants du siècle accuse la société tout entière.

Sofia Fredén, dont le travail et le style mêlent comédie et théâtre politique, a écrit Main dans la main à la demande d’une compagnie du Théâtre de la Ville de Stockholm en quête d’une pièceà l’adresse des jeunes, les incitant à venir découvrir le théâtre comme miroir et comme questionnement. La jeune dramaturge a choisi le coup de gueule et le coup de poing pour dénoncer, avec humour et cynisme, les affres de la jeunesse des années 2000, dont les difficultés à vivre sont autant le symptôme que la raison de leur malaise. Chômage, crise du logement, vie sentimentale chaotique, liberté en berne : le jeu de l’existence est complexe et il est difficile d’y abattre toutes ses cartes et d’y toujours sauver sa mise. Cinq jeunes gens prêts à tout entrent dans la spirale tragique de la confusion entre les moyens et les fins et osent le pire dans une société qui semble leur refuser le meilleur. Parmi eux, Nina a de la chance puisqu’elle cumule travail et appartement. Mais cette louve jouant du fer et du velours signifie sans ambages à Allan, compagnon attaché à ses basques et sans travail depuis un an, qu’elle peut très bien se passer de lui. Quand on sait ce qu’on veut, on ne fait plus de cadeau, même à ses amis. Aron, jeune urbain déboussolé et perdu dans la rue, cherche vainement à joindre quelqu’un par téléphone pour passer la nuit quelque part. Il demande à son frère Petter, livré au même désœuvrement que lui, de dérober l’argent paternel. Nadja, autre jeune fille en souffrance, rêve d’une couche à partager et d’un emploi. Tous sont perdus, même ceux qui croient s’être trouvés, et les chemins sont difficiles à tracer dans un monde sans repères.
 
Un grand sentiment d’abandon dans le bruit du monde
 
Les pions de ce jeu de massacre obéissent dans leurs déplacements au marquage blanc tracé sur le sol, significatif des parcours urbains, comme si toute faculté d’autonomie leur était ôtée et qu’ils étaient contraints à suivre la route que d’autres ont dessinée pour eux. Ces antihéros aux dents longues sont à la fois astucieux, maladroits et dangereux : hache, couteau de boucher ou masque de Batman constituent les déguisements et les armes nécessaires dans cette société où il faut savoir à la fois se cacher et se défendre. Et rien n’est à attendre des aînés : Gary, le père, prisonnier de l’égoïsme de ses plaisirs, jalouse les jeunes au lieu de tâcher de les comprendre. Seule Nina sauve ses billes, au prix d’une lucidité qui tourne à la perversion, comme si le cynisme était le dernier viatique social ou l’ultime morale d’un monde sans morale. Malgré la richesse psychologique des personnages désenchantés imaginés par Sofia Fredén et la tonalité ludique de son propos, Edouard Signolet ne parvient pas à donner vie à ce petit monde coloré. Les personnages arpentent le plateau comme des pantins mécaniques, brochette extravertie de figures loufoques, gueules de BD tendance Monty Python, la force cinglante en moins. A trop vouloir jouer la distance, la dramatisation ne prend pas corps, comme si la gravité de la situation ne supportait finalement pas qu’on la traite avec légèreté, comme si le marasme ne s’accommodait pas qu’on demeure aux limites des gouffres qu’il creuse.
 
Véronique Hotte


Main dans la main de Sofia Fredén ; mise en scène d’Edouard Signolet. Du 18 janvier au 9 février 2008. Du mercredi au samedi à 20h ; le mardi à 19h ; matinée le samedi à 16h. Théâtre Ouvert, Jardin d’hiver, 4 bis, cité Véron, 75018 Paris. Réservations au 01 42 55 55 50.

A propos de l'événement


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