Le Chagrin
Après avoir enflammé public et critique avec [...]
Nils Öhlund met en scène Mademoiselle Julie, avec Fred Cacheux, Carolina Pecheny et Jessica Vedel. Adaptant et retraduisant le texte, il en propose une version qui interroge le masque théâtral autant que le masque social.
Comment ce projet de mise en scène est-il né ?
Nils Öhlund : Après Une maison de poupées, j’ai eu envie de prolonger mon travail sur le couple, pour des raisons secrètes que j’ai élucidées en le continuant. Les rôles de Kristin, Julie et Jean sont magnifiques, insondables, irrésolubles, d’une humanité fascinante. Avec Fred Cacheux, Carolina Pecheny et Jessica Vedel, nous sommes comme une troupe de quatre acteurs. C’est moi qui porte le flambeau, oriente le regard, mais je travaille à partir de la personnalité des acteurs, au plus proche de ce qu’ils sont. Evidemment que le contexte et la situation sont particuliers et que la fable existe ; mais plutôt que de travailler sur son personnage comme un archétype, je crois que le comédien doit aller chercher en lui ce que le texte y fait résonner, ce qu’il serait dans une telle situation. Je crois que cette recherche permet une plus éclatante émergence des personnages au plateau.
Dans quelle mesure cette méthode éclaire-t-elle la pièce de Strinberg ?
N. O. : Dans la stricte mesure où elle décrit justement une mise à nu progressive. Les masques tombent au fur et à mesure de la pièce. Au début, l’identité sociale et ses codes fixent les personnages. Julie est autoritaire, provocatrice : elle est la maîtresse. Jean incarne la domesticité dans sa présence invisible qui le fait être là pour servir. Au grès des coups de boutoir, ils laissent tomber ces habits-là (c’est d’ailleurs ce que Julie demande à Jean : abandonner sa livrée). Pendant cette nuit blanche, l’un et l’autre laissent tomber leurs costumes, leurs masques : le ballet qui s’opère est celui de la mise à nue de l’intimité. Ils deviennent ce qu’ils sont vraiment (ce qui n’empêche pas les rapports de force), laissant leurs statuts sociaux de côté : c’est beau quand deux être, tout à coup, se parlent vraiment.
Pourquoi avoir choisi de retraduire le texte ?
N. O. : C’est une question d’appropriation et d’appartenance. Utiliser une traduction préexistante, c’est comme jouer dans un décor déjà posé. L’interprétation est inséparable de la traduction. Même si celle-là n’a pas d’ambition universitaire ou véridique, elle permet de se libérer de la pression de la mémoire, d’être dans le sens, dans l’intention, et c’est cela qui compte. C’est particulièrement pertinent, je crois, avec Strinberg qui rêvait d’une écriture qui aurait été comme un canevas d’improvisation pour les acteurs. En faisant en sorte que la matière soit la plus vivante possible, qu’elle devienne organique, on prolonge le geste naturaliste de Strindberg.
Propos recueillis par Catherine Robert
Mardi, mercredi et vendredi à 20h30 ; jeudi à 19h, samedi à 18h. Sur les routes de la Comédie vagabonde en novembre 2015 et mai 2016. Tél. : 03 89 24 31 78.
Après avoir enflammé public et critique avec [...]