Bug de Tracy Letts, mise en scène d’Emmanuel Daumas
Emmanuel Daumas met en scène la pièce du [...]
Attention ! Chef-d’œuvre ! Armel Roussel met en scène L’Eveil du printemps avec une jubilation, une ardeur, une intelligence et un talent à couper le souffle. Des comédiens irradiants pour un spectacle exceptionnel.
Dans l’Allemagne pudibonde et conservatrice de la fin du XIXème siècle, un groupe d’adolescents découvre la sexualité et toutes les modalités de la jouissance. Une pièce sulfureuse, tellement scandaleuse en son temps que la censure s’acharna contre elle, au point qu’elle ne fut montée en intégralité que dix ans après la mort de son auteur. Masturbation, sadisme, amour du fouet, viol : la pièce passe en revue fantasmes et tabous et choisit une forme foisonnante pour exposer les vertiges de l’âge des possibles en proie à la découverte des secrets de la sensualité, des abysses de la métaphysique et des contradictions de la morale. On pourrait s’attendre à ce que notre époque, qui flirte allégrement avec les interdits et se vautre dans le fossé de la pornographie, n’ait rien à découvrir chez Wedekind… Mais c’est sans compter avec Armel Roussel et la troupe de comédiens éblouissants qu’il réunit pour actualiser la pièce, son message, son insolence frénétique et son iconoclaste audace. Le texte original est adapté sans être trahi et son lexique est modernisé sans démagogie. La gestuelle des comédiens est celle des enfants de notre siècle. Toutes ces hardiesses offrent l’occasion de pépites de drôlerie à la pertinence et à la justesse sidérantes. Wedekind écrit dans l’hiver de la frigidité bismarckienne : Armel Roussel transpose son texte avec brio et le fait éclater comme une bombe dans l’ordre compassé du pudibond aujourd’hui.
Hymne flamboyant à la jeunesse
Les onze comédiens et les deux musiciennes-chanteuses du groupe Juicy (en alternance avec Elbi) impriment un rythme endiablé à ce texte sans concessions, dont la crudité est infiniment moins indécente que l’hypocrisie des tartuffards, des trouillards, des menteurs et des salauds que sont tous les adultes, au premier rang desquels les parents, qui font assassiner leur fille par une avorteuse plutôt que de subir l’opprobre d’une rejeton né hors mariage, et les enseignants, qui organisent des conseils de discipline pour faire porter la responsabilité du suicide d’un élève à un de ses camarades plutôt que d’assumer leur veulerie coupable. La jeunesse, sa beauté, ses excès, sa folie jubilatoire, ses espoirs et ses désirs, son sens aigu de la camaraderie et son goût potache de la provocation : toutes ces extraordinaires vertus, que le renoncement fait oublier à ceux qui n’ont plus l’âge d’en avoir la force, balaient le plateau et y font souffler un grand vent vivifiant et allègre. De la fumée, dans laquelle les lumières d’Amélie Géhin font apparaître des tableaux magnifiques, de la terre qui offre un terrain de jeu protéiforme, quelques bottes de paille et une occupation optimisée de l’espace scénique : tout est simple et tout est beau. Quant à l’interprétation des comédiens, elle est absolument éblouissante. Ils s’emparent de la quarantaine de rôles que compte la pièce avec une puissance renouvelée à chaque personnage. La sincérité de l’engagement n’a d’égale que la vérité de l’incarnation. Ce spectacle offre la joie incommensurable d’être tour à tour ébloui, bouleversé, scandalisé et hilare. Grâce à Armel Roussel et à tous les artistes fascinants qu’il réunit, on se souvient que castrateurs et barbons sont détestables et, surtout – et qu’il est bon de pouvoir l’éprouver et l’affirmer – que la jeunesse est une promesse admirable !
Catherine Robert
Du mardi au samedi à 20h ; le dimanche à 16h. Tél. : 01 43 28 36 36. Durée : 2h30.
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