La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Lettres persanes

Lettres persanes - Critique sortie Théâtre Paris Etoile du Nord
Crédit photo : Virginie Puyraimond Guillaume Clayssen lutte avec originalité contre l’ethnocentrisme.

L’Etoile du Nord / d’après Montesquieu / adaptation et mes Guillaume Clayssen

Publié le 29 janvier 2016 - N° 240

Guillaume Clayssen adapte Montesquieu pour interroger les tourments contemporains de l’intolérance. En dynamitant les codes du théâtre, il offre les conditions d’un original et jouissif décentrement.

La puissance des préjugés tient au confort qu’ils offrent. Installé tranquillement dans la salle, alors que le spectacle vient de commencer, on considère que l’impudent qui dérange la représentation est un sauvage incivil, un brutal et un barbare. Mais « le barbare, c’est d’abord l’homme qui croit à la barbarie » : Lévi-Strauss le disait, Guillaume Clayssen le montre ! Hugo Dillon, que le public a failli écharper, se révèle le metteur en scène d’une drôle de pantomime. Le rustaud qui affirmait connaître l’Iran à travers ses spécialistes culinaires devient ethnographe et chorégraphe d’un nouveau voyage en terre des Lumières ! Le public est bien obligé de l’admettre : il s’est laissé prendre au piège de ses préjugés davantage qu’au jeu avec les codes théâtraux ! Le spectacle prend en compte l’ensemble du roman de Montesquieu, sans se limiter à la découverte réciproque de Paris et des Persans. Eram Sobhani est Usbek, victime de l’ethnocentrisme à Paris mais phallocrate en son harem. Floriane Comméléran est toutes les femmes du harem ; Olav Benestvedt tous ses eunuques. L’incompréhension entre ceux qui vivent ensemble sans se comprendre (objets sexuels et gardiens émasculés) est remarquablement montrée : preuve, s’il en fallait, que l’étranger est toujours plus proche de nous qu’on ne le croit, et qu’il ne suffit pas d’être Persan en manteau de fil d’or pour incarner l’altérité.

Montesquieu, si loin, si proche

L’intelligence de l’adaptation de Guillaume Clayssen tient à cette exploration des écarts anthropologiques qu’on ne voit pas immédiatement. Il ne caricature pas le Persan, et il suffit de quelques accessoires et de quelques pièces de costumes, parfois plaisamment détournés, pour l’évoquer et rappeler qu’il est l’Iranien d’aujourd’hui, dont les Français méprisent et ignorent la situation. Sur fond de cabinet de curiosités, le spectacle joue du racisme ordinaire et des petits accommodements contemporains avec la haine. Comment peut-on être Norvégien ? Comment peut-on être homosexuel ? Comment peut-on être réfugié et se souvenir encore du soleil caressant les montagnes autour de Téhéran ? Comment être une femme et échapper à la relégation, sous le velum du décor et sous le masque de la soumission sociale ? Mine de rien, en batifolant sur les chemins de traverse de l’association libre, Guillaume Clayssen dialogue avec Montesquieu pour parler d’aujourd’hui. Mais le spectacle n’oublie pas le texte, la beauté de sa langue et l’intelligence fulgurante de ses analyses : la lettre est respectée en même temps que l’esprit ! L’ensemble compose un spectacle riche en trouvailles, qui offre les conditions d’une mise en abyme historique, sociologique, politique et théâtrale extrêmement féconde.

 

Catherine Robert

A propos de l'événement

Lettres persanes
du mardi 26 janvier 2016 au samedi 13 février 2016
Etoile du Nord
16 Rue Georgette Agutte, 75018 Paris, France

Mardi, mercredi et vendredi à 20h30, jeudi à 19h30 et samedi à 17h. Tél. : 01 42 26 47 47. Tournée : Les Taps (Strasbourg), du 10 au 13 mai 2016 ; La Comédie de l’Est (Colmar), octobre 2016. Durée : 2h.

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