Les Fureurs d’Ostrowsky
Gilles Ostrowsky et Jean-Michel Rabeux [...]
Qui, de l’homme ou de la femme, a le premier « donné l’exemple de l’inconstance et de l’infidélité en amour » ? Voilà la question qui anime la dispute philosophique entre le Prince et sa compagne Hermiane, qui espèrent la trancher par une expérimentation « in vivo », aussi cruelle que vaine. Le metteur en scène Jacques Vincey livre une vision puissante du chef-d’œuvre de Marivaux avec les acteurs du Jeune Théâtre en Région Centre-Val-de Loire.
Marivaux écrit La Dispute à la fin de sa vie et pousse à l’extrême l’expérimentation comme moyen de révéler la vérité des êtres et des situations, procédé qui marque tout son théâtre. Comment cette pièce s’inscrit-elle dans son œuvre ?
Jacques Vincey : Elle concentre toutes les problématiques qui traversent son œuvre : la violence du désir et la difficulté à le formuler, le langage comme arme de séduction et de domination, la nécessité de passer par le jeu et la fiction pour sonder ses partenaires, démasquer les illusions et parvenir à la vérité. Le Prince imagine ici une expérience soi-disant scientifique qui entend rejouer l’origine du monde et retrouver l’état d’innocence. Il propose d’observer les comportements amoureux de deux garçons et deux filles, élevés depuis vingt ans hors de toute société par des domestiques noirs. Marivaux compose une allégorie de l’adolescence : en une heure les quatre cobayes passent du statut de sauvageons ingénus à celui d’enfants rebelles, puis à celui d’adultes amenés à cette lucidité terrible : l’amour n’est pas un sentiment idéal et pur, et la morale, si elle donne un cadre au chaos des désirs, ne parvient pas à les tenir dans les bornes de la raison.
« Marivaux compose une allégorie de l’adolescence. »
Marivaux ne résout pas la dispute mais renvoie des questions. Comment résonnent-elles aujourd’hui ?
J. V. : Il interroge en effet la part d’inné et d’acquis, de liberté et de contrainte, la satisfaction des désirs, la connaissance de soi-même et du monde. Certaines questions se posent différemment aujourd’hui, comme celles du genre et de l’attirance sexuelle par exemple.
Avec les six comédiens du JTRC, comment avez-vous cherché le présent dans cette pièce du 18e siècle ?
J. V. : Je ne mets pas en scène « la » mais « une » Dispute avec eux, c’est-à-dire avec qui ils sont, aujourd’hui. Ces jeunes acteurs, intégrés durant deux ans dans la troupe grâce au dispositif régional d’insertion professionnelle, sortent de l’école et ont traversé la période de l’adolescence il y a peu. L’enjeu est d’inscrire ce texte dans leur cœur et dans les corps, de prolonger dans la méthode de travail le protocole expérimental que propose Marivaux.
Vous avez conçu deux scénographies, avec des jauges différentes : une arène de 56 places, close par des miroirs sans tain, et une piste foraine pour 150 personnes. Quel sens apporte le dispositif circulaire ?
J. V. : L’arène met les spectateurs en position de voyeurs, puisque, grâce aux miroirs sans tain, ils peuvent voir sans être vus, comme dans un « peep-show ». Ils sont témoins, complices, de ce qui se déroule devant eux, derrière la vitre. L’écoute au casque contribue à l’impression d’intimité, qui renforce le trouble de cette expérience. Quant au dispositif forain, panoptique, il renverse le rapport au public : les acteurs doivent l’entraîner avec eux dans la fiction !
Entretien réalisé par Gwénola David
Du 2 au 12 février, puis du 24 mai au 3 juin 2016. Tél. : 02 47 64 50 50.
Gilles Ostrowsky et Jean-Michel Rabeux [...]