La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

La Cerisaie

La Cerisaie - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre du Soleil
La Cerisaie dans la mise en scène de Christian Benedetti. © Roxane Kaperski

Théâtre du Soleil / d’Anton Tchekhov / mes Christian Benedetti

Publié le 14 janvier 2016 - N° 240

Après La MouetteOncle Vania, Trois Sœurs, Christian Benedetti  poursuit son projet de monter l’intégralité de l’œuvre dramatique de Tchekhov. Une partition chorale quasi abstraite, épurée et aiguisée.

Christian Benedetti poursuit son ambitieux travail. Même économie de moyens, plateau quasi nu et vidé d’accessoires, même débit rapide de la parole qui se cristallise et se noue comme une partition musicale, mêmes figures fugaces et tenaces, éloignées de la notion de personnage et pourtant trempées dans l’âpreté concrète du vécu, même absence de psychologisme et de référence mélancolique à l’âme russe. Avec une spécificité : tout est centré dans cette pièce autour de la Cerisaie, splendide, invisible, omniprésente, et sur le point d’être vendue aux enchères. Comme le dit Trofimov, c’est « toute la Russie qui est notre cerisaie ». Tout a une fin en ce monde : la pièce se situe à un point de fracture cardinal, irrémédiable, entre le passé enfui et le futur nouveau. A l’image de ces lits empilés présents sur le plateau, l’enfance pure et heureuse a été liquidée. Piégé par ses illusions et sa solitude, chacun cultive des espoirs secrets, chacun envisage différemment son rapport à la cerisaie. Tchekhov ne s’inscrit ni dans une nostalgie béate ni dans un futur prometteur : au-delà de toute analyse facile, il complexifie et densifie le présent, qui pourtant s’échappe pour laisser place à l’inconnu. Inconstante, Lioubov revient dans la chère maison de son enfance après cinq ans d’absence. Le moujik Lopakhine propose de construire des datchas à la place de la cerisaie pour les estivants, il est peut-être le seul qui ne rêve pas.

Collisions et ratages

Rugueuse, anguleuse, la mise en scène orchestre de façon vive et resserrée cette multiplicité de points de vue qui jamais ne s’accordent, car ces ratages et ces manques tragiques n’offrent aucune perspective. Ce sont des collisions instantanées, comme volées au temps, qui lient les personnages. Et parfois la choralité de l’ensemble se fige dans un silence nu qui peut être habité d’un détail fulgurant. Christian Benedetti souligne que La Cerisaie est une comédie qu’il faut jouer avec entrain. Ce qui frappe cependant, c’est la dimension rêche et cruelle des relations, qu’elles soient familiales ou sentimentales, domestiques ou économiques. C’est triste et lourd de chagrin. Et pourtant ils dansent. La pièce atteint parfois une forme d’abstraction qui évoque Beckett et ses beaux jours. Un tel parti pris nécessite un jeu choral et musical au cordeau, qui parvient à laisser voir sous la surface de la langue la poignante vérité de la vie : Tchekhov ne laisse pas le spectateur au bord de la route. Benedetti, qui interprète Lopakhine remarquablement, convoque pour cette pièce de troupe une équipe d’acteurs chevronnés dont certain(e)s sont pour l’instant encore un peu en-deçà de l’ensemble. Un travail nourrissant, qui appelle à questionner le défi de notre futur…

Agnès Santi

A propos de l'événement

La Cerisaie
du mercredi 20 janvier 2016 au dimanche 14 février 2016
Théâtre du Soleil
Route du Champ de Manoeuvres, 75012 Paris, France

Du mercredi au vendredi à 20h30, les samedis et dimanches à 16h. Tél. : 01 43 76 86 56. www.theatre-studio.com

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