La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Trois S’urs

<p>Les Trois S’urs</p> - Critique sortie Théâtre
©Jean-Baptiste Pasquier Légende : Eric Peuvrel interprète Popritchine, glissant hors de sa vie.

Publié le 10 mai 2007

La difficulté pour la jeunesse de vivre ses rêves, une désespérance
douce-amère qu?éclaire subtilement Braunschweig.

Les figures féminines des Trois S’urs de Tchekhov sont profondément
sensibles, porteuses d’un idéal paternel humaniste fondé sur l’éducation,
l’instruction, le travail et l’ouverture au monde. Elles parlent les
langues étrangères, un luxe inutile bien avant l’heure de l’Europe fébrile.
L’aînée Olga est une enseignante solitaire, Macha une épouse déçue, et Irina, la
cadette dont on fête les vingt ans dégage un enthousiasme pétillant. Elles
vivent dans la demeure du père défunt, une ville de garnison de chef-lieu de
province de la fin du dix-neuvième siècle russe avec des aristocrates, des
militaires, des fonctionnaires et du menu peuple qui ne compte pas ? une ville
sans art ni volonté d’action ni morale politique. Andreï, le frère
désillusionné, a épousé Natalia, une femme pragmatique aux vues
petites-bourgeoises. Elle se retrouvera en dernière instance maîtresse des
lieux, après en avoir chassé patiemment les s’urs fantasques. Les hommes de
cette ville « mangent, ils boivent, ils dorment et ils meurent. » Pas de
quoi faire rêver. Pour le commandant de batterie Verchinine, le premier élan
urbain a été aspiré par le souffle des guerres. Et dorénavant, loin de Moscou ?
le paradis perdu de l’enfance de ces jeunes filles en fleurs – le temps présent
ne fait que mourir lentement de son vide silencieux, à l’orée des
bouleversements modernes de l’Histoire, dont certains qu’on n?attendait pas.

Braunschweig interroge avec brio et culot notre présent actuel.

Le Russe serait-il enclin aux pensées élevées ? Ce ne sont que paroles de
consolation car la vie est trompeuse et les hommes médiocres. Chacun dans
l’imbroglio du jeu et des enjeux de l’existence échoue irréversiblement sur le
mur aveugle de l’instant présent : « Le bonheur, nous ne l’avons pas, nous ne
l’avons jamais eu. Nous pouvons seulement y rêver.
 » Aller à Moscou signifie
la volonté de construire sa propre vie pour en finir avec une société désuète.
Dans la friction avec l’?uvre de Tchekhov, Stéphane Braunschweig interroge avec
brio et culot notre présent actuel qu’il nous faut bien habiter, et les idéaux
décalés de nos pères. Une vraie copie à revoir et à réévaluer. Au premier acte,
la salle à manger figée d’un musée qu’on n?oserait investir. Au second acte,
dans cet espace inhabitable les s’urs ne peuvent plus accueillir les masques
pour le carnaval, et au troisième, les voilà confinées dans une petite chambre,
reléguées là par leur belle-s’ur avide d’en découdre à leurs dépens. Au
quatrième acte, elles quittent un décor éventré, les vestiges errants du passé,
tandis que Natalia pense déjà à couper les arbres, un exemple discutable de
l’adaptation forcenée à des temps nouveaux. Et les s’urs ont perdu leurs rêves’
De vrais acteurs et de belles Soeurs, Bénédicte Cerruti, Pauline
Lorillard, Cécile Coustillac, et Maud Le Grévellec en Natalia. Vivantes, malgré
elles.

Véronique Hotte

Les Trois S’urs

D’Anton Tchekhov, traduit du russe par André Markowicz et Françoise Morvan,
mise en scène et scénographie Stéphane Braunschweig du 22 mai au 23 juin 2007 au
Théâtre National de la Colline 15, rue Malte-Brun 75020 Paris Tél : 01 44 62 52
52 www.colline.fr

Texte publié Babel Actes Sud

Légende visuel : « Jean-François Balmer et le Quatuor Ludwig : quand
Balzac flirte avec Beethoven. 
» 

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