La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Trois sœurs

Les Trois sœurs - Critique sortie Théâtre
Crédit visuel : Pidz Légende visuel : « Un théâtre de la vérité, un théâtre de la vie. »

Publié le 10 janvier 2008

Patrick Pineau et ses quinze comédiens portent Les Trois sœurs jusqu’à une limpidité saisissante. Une représentation qui bannit tout ostentation pour laisser éclater la grandeur de Tchekhov.

Il est rare qu’autant de fluidité, de justesse et de cohésion réunissent quinze comédiens sur une même scène, rare que la notion de troupe trouve une aussi belle expression que dans ces Trois sœurs en perpétuel équilibre entre sourire et mélancolie, espoir et abattement, envolées joyeuses et précipices de gravité. Afin de n’occulter le mérite d’aucun des interprètes de cette remarquable entreprise, il faudrait assurément nommer chacun d’entre eux. Prenons pourtant le parti de n’en nommer aucun et achevons ainsi d’établir l’idée d’un seul corps de théâtre constitué par l’ensemble de cette distribution. Un seul corps aux membres multiples, mais unifié dans un même esprit : celui d’un théâtre de la vérité, d’un théâtre de la vie qui donne le sentiment d’“être” sans “vouloir”, de convaincre sans plaider, un théâtre qui se laisse traverser par les fulgurances des Trois sœurs et parvient — dans une façon de simplicité — à en éclairer les plus fines perspectives. Cherchant à savoir pourquoi ils vivent, pourquoi ils souffrent, pourquoi même ces interrogations les poursuivent, les personnages de cette pièce ne sont pas des héros : ils se heurtent très humainement aux aléas du monde, soumis à leurs limites comme à la dualité de leurs élans.
 
Un art de la fugue philosophique et théâtrale
 
D’un instant à l’autre, Macha, Olga, Irina et la société qui les entoure, passent ainsi du rire au désarroi, du désarroi au rire, à travers une souplesse et une légèreté insolites. La mise en scène de Patrick Pineau s’attache en effet à investir tous les possibles de ces respirations tchekhoviennes. Comme s’il s’agissait, à partir d’un point d’équilibre existentiel, d’infléchir la nature des protagonistes pour les faire successivement obliquer du côté de l’allégresse ou de celui du vague à l’âme. Car tout va sans cesse avec son contraire dans cette pièce où rien n’a jamais vocation à se résoudre. Transposant au théâtre l’art subtil de la fugue, la troupe développe, enrichit, réinvente tout au long de la représentation un même contrepoint : les modulations à la fois quotidiennes et philosophiques d’êtres résumant, à eux seuls, l’entièreté des dilemmes humains. Pour cela, Patrick Pineau fonde son spectacle sur une absence totale d’effets ou d’artifices. Menant ses Trois sœurs vers toujours plus de dépouillement, il révèle de manière imposante la profondeur et la lucidité de la pensée de Tchekhov.
 
Manuel Piolat Soleymat


Les Trois sœurs, d’Anton Tchekhov ; mise en scène de Patrick Pineau. Du 7 janvier au 5 février 2008. Du lundi au samedi à 20h30, le dimanche à 15h30. Relâche les mercredis et jeudis. MC93 Bobigny, 1, boulevard Lénine, 93000 Bobigny. Renseignements et réservations au 01 41 60 72 72 ou sur www.mc93.com. Spectacle vu aux Célestins, Théâtre de Lyon (création au Grand T, à Nantes).

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