« Les Paravents » de Jean Genet : Arthur Nauczyciel crée un espace où se mêlent poétique et politique
Odéon – Théâtre de l’Europe / Texte de Jean Genet / Mise en scène d’Arthur Nauzyciel
Publié le 25 avril 2024 - N° 321Dans Les Paravents de Jean Genet, Arthur Nauzyciel trouve une écriture au plus près de ce qu’il aime au théâtre : le rituel, la cérémonie secrète. Portée par 16 comédiens de trois générations différentes, sa mise en scène crée un espace où se mêlent poétique et politique.
Avant Les Paravents, vous montez en 2015 une autre pièce de Jean Genet, moins connue, Splendid’s. Pourquoi revenir à cet auteur ?
Arthur Nauzyciel : J’ai découvert l’écriture de Jean Genet à l’adolescence, et depuis elle m’a toujours accompagné. Avec le lycée, j’ai eu la chance de voir la mise en scène des Paravents par Patrice Chéreau en 1983, qui est restée un souvenir théâtral fort. Quand je monte Splendid’s, je comprends mieux ma fascination pour cette écriture : je découvre que le théâtre de Genet ne met rien en scène, mais qu’il crée des cérémonies secrètes, des rituels. C’est pour moi une expérience théâtrale passionnante, que je mène avec des acteurs américains et deux comédiens français, Xavier Gallais et Jeanne Moreau. Après ce spectacle toutefois, je ne vois pas avec quel texte continuer mon parcours avec Genet. C’est quand le Théâtre de l’Odéon m’offre de venir y présenter une pièce que Les Paravents s’est imposé à moi.
La première mise en scène de cette pièce, par Roger Blin en 1966, a eu lieu au Théâtre de l’Odéon. Votre pièce porte aussi des traces de la mise en scène de Patrice Chéreau, notamment grâce à la présence de deux comédiens – Hammou Graïa et Farida Rahouadj – qui en étaient…
A.N. : Il était important pour moi de me situer par rapport aux autres mises en scène de cette pièce très marquante dans l’Histoire du théâtre, qui fait scandale à sa création en 1966. Cela du fait de la Guerre d’Algérie à laquelle la pièce fait référence à la manière poétique qu’est celle de Genet. Les Paravents est une pièce peuplée de fantômes – la dédicace de l’auteur à un jeune homme mort est en cela très explicite –, ce qui rend d’autant plus nécessaire pour moi d’intégrer à ma mise en scène des traces de celles qui ont été faites plus tôt, par d’autres.
« Il est pour moi essentiel de défendre une langue qui parle poétiquement du monde. »
Vous évoquez la guerre d’Algérie, que Jean Genet a toujours réfuté avoir traité dans Les Paravents. Comment avez-vous décidé de l’aborder ?
A.N. : Si Jean Genet refusait de faire explicitement référence à la Guerre d’Algérie au sujet des Paravents, c’est à la fois parce que lorsqu’il en termine l’écriture en 1961 la guerre n’est pas encore terminée, et parce qu’il cherche à développer un théâtre qui échappe au réalisme. Si je m’inscris moi aussi dans cette quête d’un théâtre anti-naturaliste, le rapport que nous avons aujourd’hui à la Guerre d’Algérie m’a poussé à la rendre présente en filigrane dans le spectacle à travers des images d’archive. J’ai pu constater en parlant avec des jeunes, parmi lesquels les acteurs de l’école du TNB qui font partie de la distribution, que cet épisode de notre Histoire n’était pas connu, comme s’il était l’objet d’une forme d’amnésie collective. Il m’a pour cela semblé important d’en rappeler l’existence, ce qui permet aussi de donner à voir au mieux la distance poétique que Genet prend avec le réel.
Cette distance poétique est particulièrement importante pour vous. En quoi ?
A.N. : À notre époque où le réel prend possession de tout, y compris du théâtre, il est pour moi essentiel de défendre une langue qui parle poétiquement du monde, qui offre au spectateur une distance qui lui permette de penser. La langue de Jean Genet est ainsi, elle m’inspire un autre rapport au monde libre et joyeux, où l’on n’est jamais tout à fait ce que l’on est. Telle est l’approche du texte que j’ai eue avec mes 16 interprètes qui appartiennent à trois générations différentes. Je suis particulièrement fier de cette distribution, pour la transmission que cela permet. Et au moment où la tendance est à la réduction des budgets et des programmations, il est important de défendre de grandes formes, car elles sont l’occasion de grandes aventures artistiques et humaines, et sont souvent celles qui déclenchent des vocations.
Propos recueillis par Anaïs Heluin
A propos de l'événement
Les Paraventsdu vendredi 31 mai 2024 au mercredi 19 juin 2024
Odéon-Théâtre de l’Europe
Place de l’Odéon, 75006 Paris
du mardi au samedi à 19h30, le dimanche à 15h. Relâche les 4 et 5 juin. Tel : 01 44 85 40 40. Durée : 4h avec entracte. www.theatre-odeon.eu