Les Géants de la montagne
Théâtre de la Colline / De Luigi Pirandello / mes Stéphane Braunschweig
Publié le 21 septembre 2015 - N° 236Stéphane Braunschweig revient à Pirandello avec son ultime pièce, qu’il considérait comme son chef-d’œuvre et laissa inachevée. Il nous offre une mise en scène très réussie de ce texte fascinant, qui orchestre dans toute sa densité la relation entre art et réel.
Quelle profonde rencontre à laquelle Pirandello ne put se résoudre à apporter de conclusion ! Quel étonnant et troublant entre-deux : entre la tentation de l’imaginaire et les impératifs du réel, entre la beauté de l’art et la brutalité du monde ! La pièce, traversée par l’angoisse d’une modernité qui détruirait la poésie, regarde en face les errances de ses protagonistes. Emmenée par la Comtesse Ilse, une troupe d’acteurs rejetée partout veut absolument jouer en mémoire de son auteur suicidé La Fable de l’enfant échangé. Elle parvient jusqu’à une villa dans un coin perdu, habitée par Cotrone, qui se dit magicien, et une bande de marginaux appelés poissards. Stéphane Braunschweig orchestre cette confrontation avec maestria et subtilité, donnant corps aux questionnements de Pirandello et aux fantômes qui peuplent son théâtre avec un art en pleine possession de ses moyens, un art qui interroge le public aujourd’hui. Comme à l’accoutumée, le metteur en scène réalise aussi la scénographie. La villa est une sorte de cocon isolé du monde, où règne « la vérité des rêves », « plus vraie que nous-mêmes » selon Cotrone. Un espace régressif en vacances du réel, où rien n’est nécessaire et tout est superflu, et où la vérité s’invente au fil de l’imagination, comme une sorte de théâtre perméable à l’inconscient, désincarné, où surgissent des apparitions fantomatiques. Le monde industrieux n’a pas droit de cité dans un tel univers, vantant « la condition exquise et raffinée » de la mendicité car riche de rien donc de tout.
A la lisière de la vie
Claude Duparfait est un merveilleux Cotrone, jouant avec une sorte d’application et de naïveté enfantines. La bande des poissards, bigarrée et éminemment théâtrale, a quelque chose de fellinien, quelque chose d’une enfance primitive, qui met en relief la désespérance de la troupe d’acteurs, épuisée, avec Ilse (Dominique Reymond) au bord de la folie et à la lisière de la vie, déterminée cependant à jouer devant un public. Faut-il renoncer ? Faut-il résister ? La question est d’autant plus bouleversante que Pirandello, « Sicilien planétaire », connut une vie difficile, trouva refuge en l’écriture et rédigea la pièce dans un pays à la botte de Mussolini – La Fable de l’enfant échangé fut interdite après sa première représentation. Les fameux Géants, invisibles, habitant la montagne toute proche, sont une effrayante menace – les fascistes, un monde brutal dénué de pensée et de valeurs spirituelles, un système mondialisé au service du profit matériel…. Selon les propos tenus par Pirandello juste avant de mourir et rapportés par son fils, ils massacrent tout le monde à la fin. C’est une fin autre que nous offre Stéphane Braunschweig, une fin ouverte et splendide qui interpelle chacun à sa place, se refuse à toute simplification et reconnaît la nécessité des forces de l’esprit. Une fin théâtrale, reliant artistes et spectateurs. La marge est étroite, mais les possibilités infinies. Une pièce magnifique et émouvante, et bien sûr politique !
Agnès Santi
A propos de l'événement
Les Géants de la montagnedu vendredi 2 octobre 2015 au vendredi 16 octobre 2015
Théâtre national de la Colline.
15 Rue Malte Brun, 75020 Paris, France
du mercredi au samedi à 20h30, mardi à 19h30, dimanche à 15h30, relâche du 18 au 28 septembre. Tél : 01 44 62 52 52. Durée : 2h. Texte à paraître aux éditions Les Solitaires Intempestifs.