La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

L’emprise disséquée et contrée de belle manière dans « Poings » de Pauline Peyrade, mis en scène par Céleste Germe

L’emprise disséquée et contrée de belle manière dans «  Poings » de Pauline Peyrade, mis en scène par Céleste Germe - Critique sortie Théâtre Paris _THEATRE SILVIA MONFORT
© Simon Gosselin Poings, dissection de l’emprise par Pauline Peyrade et Céleste Germe

Reprise / Théâtre Silvia Monfort / texte de Pauline Peyrade / mise en scène Céleste Germe

Publié le 29 mars 2024 - N° 320

Traversée d’une relation de couple toxique et avilissante, Poings de Pauline Peyrade parvient à exprimer ce qui la sous-tend de manière juste, aiguë, profondément intime. La metteuse en scène Céleste Germe et le collectif Das Plateau laissent voir l’au-delà de la surface des choses, jusqu’à l’échappée finale d’une femme qui se libère.

« Je suis partie de très loin Pour arriver jusqu’à moi (…) J’entends encore mon souffle court Qui courait dans tous les sens de la vie. » L’épigraphe* du texte aigu de Pauline Peyrade en explique la structure éclatée, visible dans la disposition même des mots sur la page et divisée en cinq séquences comme autant de moments de l’histoire – Ouest / Nord / Sud / Points / Est. Cet éclatement est aussi un écartèlement, qui scinde le personnage féminin en deux voix où se mêlent des sentiments contraires et où sourd une culpabilité : Toi et Moi, tandis que le personnage masculin est simplement Lui. Esquissé à l’occasion du Festival d’Avignon 2015 lors d’un Sujet à vif avec la circassienne Justine Berthillot, devenu un récit aigu en forme de traversée d’une relation toxique, récit notamment finaliste du Grand Prix de Littérature Dramatique d’Artcena en 2018,  Poings parvient à exprimer les non-dits et les implications d’une relation marquée par l’emprise et la violence, depuis la rencontre lors d’une rave party (une première scène un peu longue) jusqu’à la fuite éperdue et libératrice en rollers. Il n’est pas simple de mettre en scène cet itinéraire où affleurent différentes strates de réalité et de perception, où émergent ce qui est dit et ce qui est inavouable. Soutenue par le travail sonore de Jacob Stambach, la scénographie de James Brandily et la création vidéo de Flavie Trichet-Lespagnol, la mise en scène donne forme dans une dramaturgie plurielle et sophistiquée à la dissociation de soi, à l’espace mental chaotique du personnage féminin, en lutte malgré l’immense difficulté de s’arracher à la domination.

Toute l’étendue de l’emprise

Images dédoublées, voix qui se superposent, boucles qui se répètent, espace scandé de reflets et de diffractions : le dispositif multimédia fait écho aux réalités psychiques invisibles et parvient à éviter l’écueil d’un formalisme soigné qui pourrait amoindrir l’intensité poignante de la traversée. Né selon l’autrice d’une nécessité intime, le texte est une plongée dans les entrailles du chaos mental, servie par l’interprétation fine et sensible de Maëlys Ricordeau et Antoine Oppenheim. Marquée par le traumatisme d’un viol conjugal, crûment raconté, la relation exprime de manière très juste toutes les humiliations ordinaires, toute l’étendue de l’emprise. « Tu ne comprends pas que je t’aime ? » répète-il.  Tout est dit. Le rabaissement, la domination, l’absence totale de remise en cause… Bouleversant, le monologue final exprimant ce que signifie « quelqu’un qui t’aime » est un moment particulièrement fort. Loin d’un féminisme qui se perdrait en errements idéologiques, ce spectacle éclaire une lutte essentielle, rappelle à quel point il est difficile, courageux et nécessaire de se défaire de l’emprise d’hommes qui dans le secret de l’intimité révèlent un effarant pouvoir de destruction.

Agnès Santi

*Rita Mestokosho L’insurrection poétique, manifeste pour vivre ici

A propos de l'événement

Poings
du vendredi 26 avril 2024 au samedi 4 mai 2024
_THEATRE SILVIA MONFORT
106 rue Brancion, 75015 Paris

du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h, dimanche à 15h. Tel : 01 56 08 33 88. Spectacle vu au Théâtre de Gennevilliers. Durée : 1h15. Texte publié aux Solitaires Intempestifs.

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