Un beau matin, Aladin
L’envoûtante Agnès Sourdillon nous entraîne [...]
Thierry Roisin confie à Frédéric Leidgens le rôle d’Alexandre le Grand, tel que Laurent Gaudé l’imagine dans son ultime combat avec la mort. Un spectacle fascinant, interprété par un comédien magnétique.
Né à Pella et mort à Babylone, tué par une mystérieuse fièvre qui seule put venir à bout de son insatiable désir de conquête, Alexandre parvint, malgré son trépas précoce et grâce à sa fulgurante carrière militaire, à repousser les frontières du monde jusqu’aux limites d’un Orient impénétrable. Laurent Gaudé a imaginé le dernier face-à-face du conquérant avec la mort, dont la guerre l’avait jusqu’alors diverti. « Un roi sans divertissement est un roi plein de misères », dit Pascal. Lorsque vient le temps d’affronter l’angoisse irrémédiable, le roi est misérable, tout Alexandre qu’il est, et rien ne peut le consoler d’avoir à disparaître à son tour, même après Darius, le roi des rois. La veine littéraire de Laurent Gaudé est baroque et chatoyante, aurifère et clinquante. Elle est à la mesure de la magnificence de son héros et de la richesse de ses conquêtes. En choisissant l’épure d’une mise en scène orientalisante, Thierry Roisin la dépouille de ses excès grandiloquents et rend Alexandre le puissant à la fragilité de sa condition : humain, misérablement humain.
Le tombeau littéraire d’Alexandre
C’est sur les bords de l’Hyphase, affluent de la rive gauche de l’Indus, qu’Alexandre arrêta sa course vers l’Orient : de l’autre côté du fleuve, l’inconnu de terres à conquérir encore ; dans le retrait et le retour, la mort comme seule promesse. C’est depuis l’Orient et en usant de ses codes théâtraux que Thierry Roisin choisit d’éclairer son Alexandre, incarné par le charismatique Frédéric Leidgens. Le comédien n’a pas l’âge du rôle. Mais peut-être vieillit-on plus vite à vivre aussi intensément que vécut Alexandre. Après avoir si fréquemment fourni pâture à la mort, le guerrier finit par lui ressembler : la rencontre avec elle est l’ultime étape du narcissisme de celui que l’oracle de Siwa avait divinisé comme rejeton d’Ammon. Sous un vaste écran mobile qui descend progressivement à mesure du récit, Frédéric Leidgens se livre à cette fascinante introspection dans laquelle Alexandre fait le récit de sa vie conquérante jusqu’à l’ultime requête : il supplie la mort d’emporter son corps tout entier, afin qu’il échappe à la putréfaction humiliante : ni corps, ni tombeau, ni sôma, ni sèma après le trépas de celui qui ne fut qu’action, mouvement et fulgurance. On sait que les archéologues cherchent encore la mystérieuse sépulture et le corps d’Alexandre. Suggérons-leur que la littérature est le seul mausolée indestructible : d’Alexandre, Laurent Gaudé est le taricheute et Frédéric Leidgens le grand prêtre…
Catherine Robert
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