Le Malentendu
Une mère et sa fille, tenant une auberge [...]
Ils sont onze, sur le grand plateau du Théâtre de La Tempête, jeunes comédiens pour la plupart. Sous la direction du metteur en scène Jean-Pierre Garnier, ils se saisissent de l’écriture de Jean-Luc Lagarce et c’est magnifique.
Harrison Arevalo. Camille Bernon. Benjamin Guillet. Loulou Hanssen. Inga Koller. Maxime Le Gac-Olanié. Anne Loiret. Mathieu Métral. Makita Samba. Sophie Van Everdingen. Arthur Verret. Rendons hommage à ces onze interprètes, ainsi qu’à celui qui les a réunis, qui les a dirigés, Jean-Pierre Garnier (avec la collaboration artistique de Nais El Fassi). Ce qu’ils font tous, ensemble, dans une très belle communion de troupe, est remarquable. Ils portent les mots de Jean-Luc Lagarce (sa dernière pièce, Le Pays lointain, écrite un an avant qu’il ne meurt des suites du sida, en 1995, est ici mêlée à des extraits de son Journal) de façon très touchante, simple et sensible – « droite, nette », dit le metteur en scène au sein de sa note d’intention. Tout est là, dans cette manière évidente, comme paisible, de cadencer, de ponctuer la langue du dramaturge, sans jamais avoir l’air de faire quoi que ce soit de particulier. Là, dans cette manière de s’approprier son rythme si personnel, ses multiples rebonds, toutes les césures et les incises qui viennent révéler les précipices, les abymes, les fulgurances de cette matière littéraire. Mais aussi, dans un « être en scène » dénué de pathos, de commodité psychologique, au sein de l’espace de jeu modulable imaginé par le scénographe Yves Collet.
Au plus près et au plus beau des mots de Jean-Luc Lagarce
Au plus près, au plus beau pourrait-on dire, des mots de Jean-Luc Lagarce. Jean-Pierre Garnier signe une proposition d’un très grand équilibre. Drôle parfois, saisissante, par moments délicate ou poignante, cette représentation (accompagnée de quelques chansons) investit toutes les nuances de l’univers du dramaturge, en évitant les effets de gravité. La mort, pourtant omniprésente, est énoncée dès les premières phrases du Pays lointain (la pièce est une réécriture, une amplification d’une œuvre antérieure, Juste la fin du monde, dans laquelle le narrateur revient dans sa famille pour annoncer son décès prochain). Louis : « Plus tard, l’année d’après ». L’Amant, mort déjà : « Une année après que je meurs, que je suis mort ? ». Louis : « Exactement ça. / L’année d’après, / j’étais resté, là, seul, abandonné, toutes ces sortes de choses, / plus tard, l’année d’après, / – j’allais mourir à mon tour… ». Cette mort passée ou à venir, la mort de Louis et celle de ses amants apparaît, ici, comme déjà incorporée, admise, presque dépassée. C’est de cet espace-temps à la fois concret et abstrait, à la fois ancré dans la vie et dans l’au-delà de la vie, dont rend compte cette création admirable. Un espace-temps fait de vulnérabilité, de vigueur et d’une forme étonnante de quiétude.
Manuel Piolat Soleymat
Une mère et sa fille, tenant une auberge [...]