La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Avignon / 2012 - Entretien Pierrette Dupoyet

Le théâtre comme appel à l’humanité

Le théâtre comme appel à l’humanité - Critique sortie Avignon / 2012

Publié le 10 juillet 2012 - N° 200

Adepte d’un théâtre généreux défini comme outil de connaissance, de questionnement et de transmission, l’auteure, metteure en scène et comédienne Pierrette Dupoyet présente trois spectacles, et célèbre sa trentième participation au Festival d’Avignon.

«  J’ai toujours pensé que le théâtre avait un devoir impérieux de partage et de transmission. »
 
C’est votre 30e participation à Avignon Off. Quel regard portez-vous sur le festival ? Sur son évolution ? 
 
Pierrette Dupoyet : C’est un festival que le monde entier nous envie et qui nous tire vers le haut. L’évolution depuis 30 ans a été phénoménale (moins de 100 spectacles dans le off à mes débuts et maintenant près de 1200), et c’est très bien ainsi ! Je ne suis pas d’accord avec ceux qui disent qu’il y a trop de spectacles. Certains disent qu’il faudrait sélectionner en amont les spectacles, mais sur quels critères ? Une telle sélection serait indigne ; le spectateur est notre seul grand juge et patron. N’oublions jamais que dans les pays totalitaires, les artistes sont les premiers à être bâillonnés. Le festival permet de rencontrer dans un temps raccourci les autres créateurs, les programmateurs et les spectateurs qui vous questionnent sur votre démarche. Il prend le pouls du spectacle vivant, Il est un indicateur fondamental de la culture dans notre pays. Gardons-lui son formidable souffle et sa liberté de ton !
 
Comment considérez-vous votre parcours ?
 
P. D. : J’ai eu une grande chance ! J’ai parcouru 70 pays avec mes créations, j’ai fait des rencontres extraordinaires. Et je suis plus que jamais motivée par les thèmes qui m’ont donné envie de faire ce métier. A l’âge de 15 ans, je montais déjà sur scène pour parler de Justice, d’Amour, de Tolérance, de Fraternité… et je n’ai jamais lâché prise. Je ne pense pas que ce soit plus difficile maintenant qu’avant. Les artistes ont toujours eu à se battre pour exister, dans des périodes parfois beaucoup plus sombres qu’aujourd’hui.
 
 
Vous êtes à l’affiche avec trois spectacles. L’orchestre en sursis évoque l’horreur d’Auschwitz. Comment abordez-vous la réalité des camps nazis dans cette pièce ?
 
P. D. : Il y a très longtemps que je souhaitais aborder ce thème mais je craignais de ne pas être à la hauteur d’un sujet aussi sensible que les camps d’extermination. Je suis partie à la recherche de rescapés d’Auschwitz et j’ai rencontré des hommes et des femmes extraordinaires de lucidité, de chaleur humaine et d’espérance dans la transmission. Ils m’ont non seulement approuvée dans mon projet mais propulsée pour que je témoigne avec l’outil dont je dispose, c’est-à-dire le théâtre. Je ne suis qu’une passeuse… Sur scène je suis l’interprète de ces vies anéanties, saccagées, mais je suis aussi, à travers la musique que jouait l’orchestre des femmes de Birkenau, la flamme qui témoigne quand ceux qui ont vécu s’éteignent les uns après les autres. J’ai toujours pensé que le théâtre avait un devoir impérieux de partage et de transmission. Je m’y emploie en permanence.
 
 Laisse tomber la neige évoque l’univers psychiatrique. Quelles sont vos références et vos influences pour traiter ce thème à la scène ?
 
P. D. : Ce spectacle est tiré d’un fait divers des années 80 qui m’avait interpellée. Pour échapper à la prison, une meurtrière déguise son crime en acte de démence mais le piège de la folie se referme sur elle. L’enfermement est un thème qui me fascine et auquel je suis confrontée chaque fois que je joue en prison. Quant à la folie, c’est un univers que nous côtoyons sans cesse. L’homme, pour rester raisonnable, doit souvent faire des efforts démesurés et la tentation de l’acte de folie le guette. Le spectateur de Laisse tomber la neige est quelque peu déstabilisé par le fait que cette meurtrière est très sympathique. Le spectacle pose une foule de questions sur la justice, sur la notion de circonstances atténuantes, etc.
 
Jean Valjean, Fantine, Gwynplaine : vous évoquez dans Les Parias chez Hugo les exclus de la société. Quelles résonances voyez-vous avec notre époque ?
 
P. D. : La résonance entre l’exclusion à l’époque de Victor Hugo et la nôtre est incroyable. Hugo était non seulement un humaniste mais un visionnaire sans pareil. Le discours qu’il a prononcé à l’Assemblée en 1848 pour dénoncer la misère et l’indifférence des grands de ce monde face à la détresse des « laissés pour compte » est hallucinant de modernité ! Les parias que j’évoque sur scène sont encore là, près de chez nous. Personne n’est à l’abri de tomber au fond du gouffre un jour ou l’autre. Là encore, l’acte théâtral permet de voir en face le monde des exclus, des humiliés, et nous donne l’occasion de nous interroger sur nos propres comportements, notre sens de la compassion et notre tendance à l’égoïsme. Hugo nous communique le désir de redresser l’homme jeté à terre et nous encourage à faire de nos enfants des êtres libres par l’éducation et la puissance du mot. Son cri en faveur de l’humanité est un immense appel vers la Lumière que je partage entièrement.
 
Propos recueillis par Agnès Santi


 
Avignon Off. L’Orchestre en sursis du 7 au 28 juillet à 11h00 au Théâtre du Bourg-Neuf, 5bis 7 rue du Bourg-Neuf. Laisse tomber la neige du 7 au 28 juillet à 14h30 au Théâtre Albatros, 29 rue des Teinturiers. Les Parias chez Victor Hugo du 7 au 28 juillet à 18h20, au Théâtre La Luna, 1 rue Séverine. Tél. : 06 87 46 87 56.  
 
L’Orchestre en sursis / Théâtre du Bourg-Neuf
Laisse tomber la neige / Théâtre L’Albatros
Les Parias chez Victor Hugo / La Luna

Texte et mes Pierrette Dupoyet  

A propos de l'événement


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