Avignon / 2012 Entretien / Aurélie Filippetti
« La culture au cœur de notre projet de société »
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Publié le 11 juillet 2012
Ministre de la Culture et de la Communication depuis mai 2012, Aurélie Filippetti ouvre de nouvelles perspectives pour le secteur de la culture en France. Divers chantiers sont annoncés ou en cours, sur l’éducation artistique, le financement du spectacle vivant, la relation entre l’Etat et les collectivités, le droit à la culture…
« Je veux redonner une ambition culturelle forte à l’ensemble de la politique gouvernementale. »
Les professionnels du spectacle vivant sont très inquiets à cause du gel budgétaire du financement par l’État des structures culturelles, pénalisant la vitalité de la création ainsi que le volume des actions culturelles, fragilisant à l’extrême certaines structures. Envisagez-vous un changement de politique concernant le financement du spectacle vivant ? Comment définir précisément ce changement ?
Aurélie Filippetti : Cette inquiétude est parfaitement légitime. Ce gel pénalise lourdement l’ensemble des structures culturelles, au-delà même du spectacle vivant. Pour certaines compagnies ou établissements, c’est parfois même une question de survie. Au cours de sa campagne, François Hollande a indiqué qu’il favoriserait un rétablissement de ces crédits. Cela sera discuté dans le cadre de la loi de finances à l’Assemblée et au Sénat. D’autant que les budgets de la création ont été amputés sous Sarkozy. Concernant le financement du spectacle vivant, il faut évidemment protéger la création. Mais, face à la réalité des contraintes économiques, il est tout aussi indispensable de réfléchir à de nouvelles approches : comment retrouver des marges artistiques pour la production, comment mieux mutualiser les compétences, comment garantir l’emploi artistique, comment faire une place aux plus jeunes, quels modèles expérimenter, quels financements complémentaires mobiliser… Il y a là un chantier que je veux ouvrir.
Comment les collectivités territoriales peuvent-elles activement soutenir le secteur de la culture alors qu’elles doivent faire face à des dépenses accrues (RSA, dépendance..) ?
A. F. : Les collectivités sont les premiers financeurs de la culture dans notre pays : pour plus de 7 milliards d’euros. Elles font dans ce domaine un effort considérable, alors même qu’elles ont subi des transferts de charges importants. Et cependant, elles maintiennent pour la plupart leur engagement, témoignant ainsi de l’importance vitale de la culture pour la vie de la cité. L’acte nouveau de la décentralisation qui va s’engager inaugurera une autre relation entre celles-ci et l’État, bâtie sur un véritable partenariat, avec un souci permanent de complémentarité et de cohérence. La construction de cette « intelligence territoriale » est aujourd’hui une nécessité et une force pour notre démocratie.
Quel rôle a la démocratisation de la culture, dont on entend parfois dire qu’elle a échoué, dans la politique culturelle que vous voulez mener ?
A. F. : La démocratisation est l’objectif de toute action culturelle conséquente. A-t-elle échoué ou réussi ? Ce débat me semble stérile : c’est tout simplement une bataille que nous devons livrer en permanence. C’est surtout le sens de l’ambition de la politique culturelle que nous devons retrouver. Et cela passe bien entendu par le droit à la culture de ceux qui n’y ont pas spontanément accès : les enfants et les jeunes, mais aussi les actifs, tout au long de leur vie, et bien sûr les plus anciens, dont la qualité de vie se mesure aussi à leur possibilité de s’épanouir par des pratiques artistiques et culturelles. Géographiquement, la création doit trouver son terreau ailleurs que dans les centres-villes : dans les quartiers, mais aussi dans les zones rurales où elle est indispensable. En plaçant la culture au cœur de notre projet de société, en mobilisant l’ensemble des acteurs concernés, en développant la responsabilité sociale et territoriale de nos institutions, en instituant une nouvelle relation avec les collectivités, en agissant de façon transversale et interministérielle toutes les fois où cela est possible, je veux redonner une ambition culturelle forte à l’ensemble de la politique gouvernementale. Car la vitalité de sa création est l’atout majeur de notre pays.
Vous avez à cœur de développer l’éducation artistique de la maternelle à l’université. Les établissements culturels qui maillent le territoire peuvent-ils participer à cette ambition par des partenariats avec les établissements scolaires ?
A. F. : L’éducation artistique est notre priorité, parce qu’elle est à la base de la démocratie culturelle. C’est un enjeu de société et d’avenir éminemment politique, car c’est en renforçant la culture dès le plus jeune âge que nous favoriserons l’émancipation de chacun et une plus grande solidarité collective, luttant par là même contre les inégalités sociales ou géographiques. C’est à la source qu’il faut aborder cette question essentielle. Nous avons déjà travaillé avec Vincent Peillon et des propositions concrètes seront faites, qui intègreront la connaissance et la pratique artistiques dans le cursus scolaire. Les artistes seront évidemment associés, ainsi que les théâtres, les musées, les lieux de création ou de diffusion, dans toute leur diversité : tout le monde doit se mobiliser. Les théâtres et les compagnies n’ont jamais été aussi actifs dans ce combat de tous les jours pour l’élargissement des publics. Ils pourront évidemment s’investir davantage et dans de meilleures conditions. Des dispositifs nouveaux, diversifiés, conçus dans une véritable collaboration interministérielle, seront mis en place au service d’un programme durable.
Malgré la crise, les gens vont au cinéma, au théâtre, au cirque… Le soutien du secteur du spectacle vivant participe-t-il aussi à l’élaboration d’une société moins uniforme, moins soumise aux industries culturelles ?
A. F. Il est vrai que la crise ne semble pas avoir affecté la fréquentation des lieux de spectacle et cela prouve d’abord que la culture est un « produit de première nécessité », vitale à chacun d’entre nous mais surtout au pays tout entier. Ensuite, il convient d’examiner plus attentivement quelle réalité ce constat optimiste recouvre et le nuancer probablement selon les domaines et les territoires : car les abonnés ou les amateurs éclairés sont toujours fidèles, mais c’est aussi au renouvellement des publics que nous devons nous atteler. Mais bien sûr, le spectacle vivant, par sa nature même, résiste plus que d’autres expressions à la marchandisation et, par son caractère non-reproductible, il constitue une résistance au grégarisme, au conformisme, aux stéréotypes. Il y a dans le meilleur de ce qu’il produit une irrévérence non négociable essentielle à toute société.
Pensez-vous qu’une politique culturelle ambitieuse puisse générer un dynamisme économique dans les territoires, voire même lutter contre la crise ?
A. F. : Non seulement je le pense mais je le constate, et cela n’est pas contestable. Aujourd’hui une grande partie de la réussite des métropoles régionales tient aux paris qu’elles ont faits sur la culture. Il suffit de penser au succès et à la transformation de Nantes, de Lille, de Lyon, de Toulouse, de Metz, de Rennes et de tant d’autres villes. Au-delà de l’attractivité touristique, la présence d’équipements et d’activités culturels – théâtre, musée, centre d’art, salle de concert… – et d’associations ou professionnels, compte pour beaucoup dans le choix des investisseurs. On connait aussi l’impact économique des festivals et, d’une façon plus générale, sans aller jusqu’au concept de « ville créative » développé par certains penseurs américains, on peut regarder la culture comme un vecteur réel de développement économique… mais tout d’abord, évidemment, humain.
Propos recueillis par Agnès Santi