Les Impromptus
Sixième édition du Festival des Arts du [...]
Entrelaçant remarquablement les sphères intimes et politiques, Christian Schiaretti nous offre une superbe mise en scène du Roi Lear, avec dans le rôle-titre Serge Merlin, exceptionnel.
Shakespeare interroge inlassablement dans son œuvre l’exercice du pouvoir et les infinies fragilités de l’action humaine. Lorsque Le Roi Lear est créé en 1606, Jacques Ier règne depuis peu (1603-1625), et la question du pouvoir et de l’unité du royaume se pose avec acuité. Si Le Roi Lear est une pièce tellement bouleversante, c’est qu’elle mêle tragiquement intrigues familiales et politiques. La mise en scène de Christian Schiaretti se distingue car elle met en oeuvre avec maestria cette implacable imbrication des sphères intimes et publiques, conjuguant l’histoire d’une famille qui se déchire et l’Histoire d’alliances géopolitiques. C’est une tragédie de la parole dévoyée par des stratégies et des codes qui n’ont pour finalité ni la vérité, ni l’honnêteté et ni l’amour, pourtant tant invoqué. La parole est instrument de conquête et d’orgueil dans un système très réglementé, et en pleine mutation (parole et pouvoir : thématique ultra-contemporaine !). Dans une scénographie circulaire rappelant autant le théâtre du Globe qu’un impitoyable colisée qui se fera tombeau, la tension dramatique ne se relâche jamais et la mise en scène éclaire et orchestre brillamment toute l’agitation radicale de ces êtres aux parcours contradictoires, entre surgissement et effacement, entre fidélité et droiture pour les uns (remarquables Vincent Winterhalter en Kent et Philippe Duclos en Gloucester), soif de pouvoir et de domination pour les autres (Marc Zinga en Edmond). Comme souvent chez Shakespeare, la discorde trouve un écho dans la folie des éléments, accablant Lear.
Pleinement présent au monde
Quelle cruauté dans la catabase du vieillard ! A travers la direction d’une vingtaine d’acteurs, la maîtrise parfaite des trajectoires, les remarquables lumières et illustrations sonores, l’efficacité de l’outil scénographique, le metteur en scène montre toutes les facettes de l’inexorable descente aux enfers du vieux roi. « Notre Roi Lear ne sera pas un Lear de la dissolution, de la déliquescence. » prévient-il. Ni clown vacillant ni figure beckettienne, Lear, roi, homme et père déchu, s’inscrit ici dans l’Histoire et ses enjeux, sous le regard de tous. La scène inaugurale est splendide. Roi possédant grandeur et autorité, pleinement présent au monde, Lear fait irruption et annonce son intention de renoncer au fardeau du pouvoir en léguant son royaume à ses trois filles. Il détermine le partage en mesurant leur amour à l’aune de leurs paroles : les deux aînées se conforment au rituel avec application, et la cadette pourtant préférée refuse de se plier au jeu. Elle se tait et Lear la bannit, ainsi que le fidèle Kent. Fin de partie pour le vieil homme qui deviendra très vite l’ombre de Lear… Que dire de Serge Merlin ? Nous sommes tout simplement admiratifs et subjugués par son art inouï. Ce Roi Lear est à réserver d’urgence : un théâtre du dévoilement et de la grandeur !
Agnès Santi
Du 12 au 28 mai à 19h30, relâche les 14, 19, 20, 25 et 26 mai. Dimanche 18 à 17h. Tél : 01 42 74 22 77. Durée : 3h45 (entracte inclus). Spectacle vu à l’Opéra-Théâtre de Nancy.
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