Vu du pont
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Acéré, féroce, drôle, le théâtre de Jan Lauwers prend la vie à bras le corps. Cette fois, il revient sur notre passé pour mieux éclairer notre avenir. Un grand moment, d’une intensité sans pareille.
En occident, « le poète aveugle » désigne le père de la poésie occidentale, à savoir Homère. Par un tour, ou plutôt, une tournure d’esprit propre à Jan Lauwers, il désigne ici le poète syrien du XIe siècle Abû al-‘Alâ al-Ma‘arrî (979-1058), aveugle, et surtout grand sceptique devant l’Eternel. Cette confusion n’est pas fortuite, c’est même le cœur du propos de Jan Lauwers : décaler notre focale culturelle en remontant dans le temps pour traverser nos espaces identitaires. Tout commence donc par la « carte d’identité (s) » des sept extraordinaires interprètes de sa tribu pour lesquels Jan Lauwers a écrit des portraits à la première personne. Tous de nationalités différentes, ils racontent dans leur langue et par leurs gestes leurs « melting pot » personnels rassemblés dans autant de One (wo)man shows. La petite histoire rejoint bientôt la grande en évoquant les Croisades. Soudain, toute l’Histoire occidentale nous revient pleine face comme le refoulé sur l’écran de nos mémoires. Une « guerre sainte » en appelant toujours une autre… « L’histoire est un mensonge qui nous remplit de honte », clame Mohamed Toukabri, le Tunisien de la bande.
Le point aveugle de notre histoire
La question des origines et des violences enfouies hante la pièce, comme ce cheval mort qui évoque d’autres massacres. Au gré des généalogies des uns et des autres, nous voilà à Cordoue avec la poétesse Wallada bint al Mustakfi (1001-1091), et Lauwers nous raconte soudain un Islam privé du génie de ses femmes, et une Europe amputée de ses dimensions musulmanes depuis 1492. Notre « point aveugle » en quelque sorte. D’une beauté saisissante, cette fresque formidable, physique, plastique et musicale avec son rock hurleur et déjanté, met en scène une humanité tendre et drôle, amère et généreuse. Elle nous rappelle surtout que l’Histoire est toujours écrite par les vainqueurs. « Nous sommes tous réfugiés ou cannibales, dit Jules Beckman, juif américain d’origine russe, mangez ou l’on vous mangera. C’est ce que nous apprend l’Histoire ».
Agnès Izrine
à 20h30. Tél. : 04 67 74 66 97. Rencontres avec le public après chaque représentation. Durée : 2h15. location@theatredesete.com
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