La Terrasse

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Théâtre - Entretien

Le Conte d’Hiver

Le Conte d’Hiver - Critique sortie Théâtre Sceaux Les Gémeaux

Les Gémeaux / de William Shakespeare / mes Declan Donnellan

Publié le 23 novembre 2015 - N° 238

Grand et fin connaisseur de Shakespeare, le metteur en scène britannique Declan Donnellan, artiste compagnon des Gémeaux, revient cette saison avec l’une des pièces qualifiées de « romances » parmi les plus baroques jamais écrites par le génial dramaturge élizabéthain : Le Conte d’Hiver.

Regardez-vous Le Conte d’hiver comme le chef-d’oeuvre des dernières pièces écrites par le dramaturge ?

Declan Donnellan : Nous l’avons déjà monté – Nick Ormerod et moi-même – il y a une vingtaine d’années avec notre troupe de comédiens russes. La pièce continue à être régulièrement présentée à Saint-Pétersbourg. C’est l’une des pièces de Shakespeare que nous adorons à plusieurs titres et nous souhaitions depuis longtemps la remonter avec Cheek by Jowl, notre compagnie anglaise. Pourquoi l’adorons-nous ? Quand il l’écrit, Shakespeare a quarante-huit ans. Il a fait le tour des grandes tragédies. La règle des trois unités est du dernier « chic » en Angleterre à ce moment-là. Or cette pièce d’une grande sophistication  fait exploser les codes classiques à un niveau inimaginable. L’intrigue est d’une fantaisie effrénée culminant dans des épisodes surnaturels et miraculeux, relevant du conte de fée et posant de sérieux problèmes (tel par exemple celui de la représentation de l’ours à la scène 3 de l’acte III). Et par son contenu, la pièce nous séduit particulièrement parce qu’elle s’achève sur une ouverture, sur la possibilité d’une rédemption, d’une seconde chance.

En quoi cette fin vous séduit-elle ?

D. D. :Il est pernicieux de monter trop d’oeuvres dramatiques qui disent qu’il n’y a pas d’espoir pour la condition humaine. Il y a là une espèce de facilité intellectuelle qui me dérange autant que celle à l’oeuvre dans lehappy end hollywoodien. Je ne suis évidemment pas en train de dire que la tragédie racinienne ne vaut rien : j’ai suffisamment monté Andromaque !  Mais, pour moi qui ne suis pas croyant au sens chrétien du terme, et qui cependant crois fondamentalement en la vie même, celle qui nous est donnée pour nous accomplir, l’idée de cette possibilité d’une seconde chance doit être défendue. Il est plus difficile d’être profond en préservant cette ouverture vers une rédemption, et c’est ce que permet Shakespeare avec ses œuvres de la maturité, notamment avec Le conte d’hiver.

« Avec  Le conte d’hiver Shakespeare subordonne la vraisemblance de l’intrigue et de ses personnages à une vision poétique originale. »

La diversité de style, les changements rapides de ton, la nature affabulatrice de l’intrigue mettent à rude épreuve la crédibilité du spectateur. Comment comptez-vous l’engager ?

D. D. :Shakespeare nous invite à penser au mystère de la création et de la re-création. La pièce traite de l’action du temps, de la naissance et de la maturité, de l’innocence et de l’expérience. Pendant les trois premiers actes, ces thèmes sont traités de manière tragique, avant que le processus ne s’inverse en évoquant la possibilité de la régénération et de la réconciliation sur le fond d’une intuition poétique « naturelle » : l’hiver se changera en printemps. Le théâtre peut ne pas être plausible, ne pas être réaliste. Cette opportunité existe dans un médium poétique. « L’art est lui-même nature »dit Polixène (acte IV, scène 4). Avec  Le conte d’hiver, Shakespeare subordonne la vraisemblance de l’intrigue et de ses personnages à une vision poétique originale, bousculant le réalisme, mais exprimant quelques-unes de ses intuitions les plus profondes et les plus mûres touchant la vie. Or ce qui est important au théâtre, c’est la vie.

 

Propos recueillis par Marie-Emmanuelle Galfré 

A propos de l'événement

Le Conte d’Hiver
du mercredi 14 janvier 2015 au samedi 31 janvier 2015
Les Gémeaux
49 Avenue Georges Clemenceau, 92330 Sceaux, France

du mercredi au samedi à 20h45, dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67. Spectacle en anglais surtitré.

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