Love and money
Critique acerbe de l’argent roi, d’une [...]
Christophe Lidon signe une mise en scène peu inspirée du chef-d’œuvre de Dürrenmatt.
« Le seul plaisir qui nous reste : on regarde passer les trains » lâche un notable décati, calé contre ses pairs plantés en rang serré sur le quai de la gare. Ça fait longtemps que la fortune a filé loin de Güllen, bourgade enkysté en province, « quelque part en Europe », lentement gangrénée par la misère qui depuis plusieurs années s’obstine mystérieusement. « Rien dans ce pays, il ne se passe rien, ni dans la nature ni chez les gens, tout est paix. Pas de grandeur, pas de tragique. », pour résumer. La faillite a emporté dans sa fièvre soudaine les usines Wagner, les laminoirs Bockmann, les Forges de la Place-au-soleil…. Restent la pauvreté, qui pousse à tout va, et l’espoir : le retour de Clara Zahanassian, l’enfant du pays devenue milliardaire à force de mariages, qui pourrait sauver la ville d’un geste prodigue. La voilà enfin qui arrive en visite, stoppant net le Venise-Stockholm de 11h27, dit Roland-Furieux, pour débarquer avec armes et bagages – une panthère noire, un cercueil, un 8e mari, deux malfrats et autres serviteurs grotesques curieusement recyclés.
« J’attendrai… » dit la vieille dame
La vieille dame justement se montre généreuse et promet un milliard à condition qu’elle obtienne justice : la mort d’Alfred Ill, son amour de jeunesse, qui lui préféra à l’époque la rentable épicière, l’abandonna, enceinte, contrainte de s’enfuir, après un procès frelaté, sous la vindicte bien-pensante des bourgeois de Güllen. « Le monde a fait de moi une putain, et maintenant j’en fais un bordel. » lance la pétroleuse vengeresse, qui d’ailleurs avait elle-même organisé la ruine de la ville. Après les indignations d’usage face à l’odieux marché, chacun malgré lui se laisse tenter et commence à vivre à crédit, spéculant que la manne finira bien par sonner… Dans cette pièce créée en 1956, Dürrenmatt (1921-1990) attaque à l’acide ironique les vacillements de la conscience et la veule hypocrisie que provoque la promesse du gain. Il observe avec patience les personnages s’arranger avec la morale et se préparer au crime collectif. Tout l’enjeu et la tension de la pièce sont là. La mise en scène de Christophe Lidon se revendique du « conte expressionniste » mais malheureusement empâte le texte sous l’illustration et guide fort peu les comédiens du Français qui déclament à qui mieux mieux. Cette Visite de la vieille dame du coup prend un sacré coup de vieux…
Gwénola David
Jusqu’au 30 mars 2014, à 20h, sauf mardi à 19h, dimanche à 16h, relâche lundi. Tél. : 01 44 39 87 00/01. Durée : 2h10.
Critique acerbe de l’argent roi, d’une [...]