Un Monde meilleur, épilogue de Benoît Lambert
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La vie invisible entrelace un témoignage sur la vie d’un non-voyant au pouvoir du théâtre à rendre visible ce qui se cache. Une forme délicate et originale conduite par Lorraine de Sagazan.
On prête parfois aux aveugles et au théâtre un pouvoir similaire : celui de rendre visible aux voyants ce qui se cache à leurs yeux. Membre de l’ensemble artistique de la Comédie de Valence, Lorraine de Sagazan a construit La vie invisible à partir de rencontres avec des malvoyants et des non-voyants de la région valentinoise. Avec l’écrivain dramaturge Guillaume Poix, elle a bâti une forme plutôt brève, d’une heure environ, délicate et sensible, qui va traverser bien des aventures. Voyageant hors les murs dans les villages de la Drôme et de l’Ardèche, elle poursuivra sa route de spectacle itinérant jusqu’à l’espace Pierre Cardin à Paris. Le terme d’aventure n’est sans doute pas trop fort puisqu’avec Romain Cottard et Chloé Olivères, tous deux comédiens professionnels, un comédien amateur non-voyant, Thierry Sabatier, tient le premier rôle de cette Vie invisible. Il y raconte une histoire, son histoire – réelle ou fictive, finit-on par se demander. L’histoire d’un jeune homme qui devient aveugle suite à un accident qui révèle sa maladie, une rétinite pigmentaire. Mais aussi l’histoire d’un spectacle qu’il est allé voir en compagnie de sa mère, morte depuis. En fouillant ses souvenirs, il s’aperçoit ainsi combien s’y rejouaient les traumatismes de sa saga familiale. La vie invisible propose donc une sorte de psychanalyse par le théâtre qui rappelle également combien sont poreuses les frontières entre la fiction et la réalité.
Du témoignage au théâtre dans le théâtre
Le rôle de Romain Cottard et Chloé Olivères consiste à représenter des bribes de ce spectacle – probablement Petit Eyolf d’Ibsen – que Thierry se souvient avoir vu avec sa mère. A le faire resurgir sur scène. Non pas tel qu’il était. Mais tel que s’en souvient Thierry, et d’après ce que sa mère lui disait à l’oreille de ce qui se passait sur scène. C’est donc Thierry le maître du jeu. Épatant de maîtrise, de rythme, de précision – bravo et à lui et au travail de direction d’acteurs -, il développe un récit où la fiction prend progressivement le dessus. Les motifs chers à Lorraine de Sagazan – les relations de couple, la place du père, le mélange réalité-fiction – s’y entrelacent ainsi de manière de plus en plus serrée. Comme avec Ibsen, Tchekhov ou Noren, auteurs qu’elle affectionne particulièrement, la metteuse en scène utilise ici le théâtre dans sa capacité à représenter le réel tout en donnant accès à des mondes cachés. Dans une mise en scène simple, dépouillée, où les changements d’énonciation – allers-retours du témoignage au théâtre dans le théâtre – se font avec fluidité, se développe ainsi un spectacle touchant et original, où l’illusion du vrai côtoie avec bonheur la plus grande théâtralité. Avec Thierry Sabatier, la figure de l’aveugle s’y fait voir, avec humour et distance, puis progressivement se laisse oublier. Car l’amateur joue comme un pro et le théâtre fait de nous tous, voyants ou non, des personnages de nos vies. All the world’s a stage, voyants et aveugles n’en sont que les acteurs.
Eric Demey
Du 2 au 13 mars au Théâtre de la Ville, espace Pierre Cardin. Du 16 au 20 mars au Théâtre des 2 Rives à Rouen. Durée : 1h. Spectacle vu à Saint-Jean-en-Royans.
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