La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique /Festival d’Avignon 2021/Transdisciplinaire

La Trilogie des Contes Immoraux (Pour Europe) de de Phia Ménard

La Trilogie des Contes Immoraux (Pour Europe) de de Phia Ménard - Critique sortie Théâtre Avignon Festival d’Avignon. Opéra Confluence
Maison Mère, première partie de La Trilogie des Contes Immoraux (Pour Europe) de Phia Ménard. Crédit : © Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

texte, scénographie et mes Phia Ménard

Publié le 22 juillet 2021 - N° 290

Initiée en 2017, La Trilogie des Contes Immoraux (Pour Europe) est aujourd’hui présentée dans son intégralité au Festival d’Avignon. Trois ans après son époustouflant Saison Sèche*, Phia Ménard revient dans la cité des papes et fait de nouveau sensation.

De Phia Ménard, on a notamment pu voir, depuis une dizaine d’années, Vortex, Belle d’hier, Les Os Noirs, Saison Sèche... Autant de créations à la frontière des disciplines (cirque, danse, théâtre, arts plastiques, performance) qui engagent spectatrices et spectateurs dans des univers à la profondeur hors du commun. Autant de propositions qui scrutent et répercutent les dérives de notre monde ultralibéral, de nos sociétés patriarcales. Autant de spectacles qui mettent en mouvement nos réflexions, nos émotions, nos sensations en explorant notre rapport au réel et à ses possibles transformations. La directrice de la Compagnie Non Nova (fondée à Nantes, en 1998) continue aujourd’hui de nous impressionner en donnant suite à Maison Mère, première partie de La Trilogie des Contes Immoraux (Pour Europe), créée en 2017 lors de la quinquennale d’art contemporain documenta 14, à Kassel en Allemagne, et reprise au Théâtre des Bouffes du Nord en 2020. C’est à L’Opéra Confluence, dans le cadre de la 75ème édition du Festival d’Avignon, que Phia Ménard présente l’intégralité de ce cycle de trois contes contemporains mettant en perspective la naissance puis la destruction de notre civilisation. Temple Père (1h35) et La Rencontre Interdite (10 minutes) succèdent à Maison Mère (1h15) pour composer une représentation d’une puissance singulière. Les trois opus s’enchaînent, sans entracte, dans une traversée éblouissante et chaotique révélant des atmosphères contrastées. Il y a, d’abord, l’esthétique crue, brute d’une première scène de construction. La metteuse en scène et performeuse, costumée en Athéna guerrière version super-héroïne punk, ramasse au sol, à l’aide de longues piques, des panneaux de carton qu’elle assemble à grand renfort de ruban adhésif. Après beaucoup d’efforts et de nombreuses complications, une réplique à l’échelle 1/10 du Parthénon d’Athènes se dresse devant nous.

La force sensorielle et politique d’une grande artiste

Mais à peine l’édifice achevé, une pluie fine et abondante surgit des cintres. Le bâtiment en carton se gorge d’eau. Peu à peu il se tord, s’affaisse, se déséquilibre, se déforme, s’écroule. Lors du deuxième conte, une autre architecture s’élève sur les ruines de cette Maison Mère, après un fondu-enchaîné en clair-obscur d’une beauté saisissante. Le mur de fond de scène s’ouvre pour laisser apparaître un anneau monumental. C’est le socle sur lequel quatre acrobates-esclaves (Fanny Alvarez, Rémy Balagué, Erwan Ha Kyoon Larcher, Élise Legros) érigent le Temple Père, nouvelle Tour de Babel aux allures phalliques qui, les pieds dans l’eau, défie les lois de la gravité et les dimensions de la cage de scène pour questionner les relations de domination et de soumission que sous-tend le fonctionnement inégalitaire du système capitaliste. Tout cela sous les ordres, les chants et les injonctions incantatoires d’Inga Huld Hákonardóttir (en anglais, islandais, allemand, français – la partition textuelle est de Phia Ménard et Jonathan Drillet, d’après des fragments d’œuvres de diverses époques), performeuse islandaise à la présence et la voix magnétiques. Cette échappée artistique de trois heures en terres de fulgurances et de vrombissements, d’allégories politiques, de surgissements poétiques (les lumières d’Eric Soyer, la création sonore d’Ivan Roussel et les costumes de Fabrice Ilia Leroy font partie intégrante de la réussite du spectacle) est tout simplement magistrale. Elle se conclut par le retour sur le plateau de Phia Ménard qui, nue, descend les trois étages du Temple Père pour nous faire face. Puis l’artiste projette de la peinture noire sur un rideau transparent tombé à l’avant-scène. Dans le même temps, une lumière vive a éclairé la salle. C’est La Rencontre Interdite, épilogue énigmatique de dix minutes qui, après 2h50 de sollicitations sensorielles de toutes sortes, semble vouloir nous placer face à nous-mêmes, dans une forme de statu quo post-apocalyptique. Noire, heurtée, radicale, cette trilogie nous laisse peuplés de mille choses. Comme toujours chez Phia Ménard, la force des images et des visions est, ici, au service du sens. Il se déploie en nous bien après l’issue de la représentation, continuant de stimuler nos consciences et nos imaginaires.

 

Manuel Piolat Soleymat

 

* Critique dans La Terrasse n° 272 – janvier 2019

A propos de l'événement

La Trilogie des Contes Immoraux (Pour Europe)
du lundi 19 juillet 2021 au dimanche 25 juillet 2021
Festival d’Avignon. Opéra Confluence
Place de l'Europe, 84000 Avignon

à 17h. Durée : 3h.

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