La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

La Thébaïde ou les frères ennemis

La Thébaïde ou les frères ennemis - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 septembre 2007

Le pouvoir est-il droit du sang ou choix du peuple ? Sandrine Lanno met en scène un Racine politique, inspiré par la guerre fratricide des derniers Labdacides. Une tragédie où le sang s’abreuve du sang.

Pour quelles raisons avez-vous choisi de monter cette pièce ?
Sandrine Lanno : D’abord parce que, quand je monte une pièce, je pars toujours de la langue et du texte et que j’aime beaucoup l’alexandrin, ensuite parce que j’aime beaucoup cette histoire d’une haine charnelle entre deux jumeaux. La pièce oppose à première vue droit du peuple et droit du sang, Etéocle se réclamant du premier, Polynice du second. Mais quand les corps des frères sont en présence, on voit la haine charnelle exploser et cette opposition remplacée par une autre. En effet, l’opposition est alors entre ce qui est dit du conflit (à savoir qu’il oppose le peuple et le sang) et ce qui n’en est pas dit, à savoir que chaque personnage est avant tout motivé par une quête individuelle qui est d’ordre humain et non pas d’ordre politique : pour les frères la mort de l’autre, pour Créon l’amour d’Antigone. Jocaste croit que quand ses fils se verront, le sang reconnaîtra le sang, mais justement, quand le sang voit le sang, la haine jouissive se déclenche. La Thébaïde est une pièce sur le sang. Même Créon, qui veut trouver sa loi en lui et croit qu’il n’est pas poursuivi par le passé, est rattrapé par le sang : c’est ça qui est tragique. Je veux montrer comment les personnages sont physiquement saisis par la haine. C’est la haine qui les met en vie, en branle : la haine est vivante plutôt que morbide. Comme le dit Henry Bauchau dans Antigone, « la haine, c’est l’amour en dur ».

Vous dites des personnages de cette pièce qu’ils sont « aux aguets ».
S. L. : En lisant la pièce, on a l’impression d’un état d’urgence permanent. Dès que la pièce commence, Jocaste demande une trêve pour ramener à la raison ses deux fils mais la guerre peut revenir à tout instant. Les personnages sont sans cesse aux aguets, proches en cela d’une espèce d’animalité. Le rythme de l’alexandrin évoque la pulsation du sang : tant que ça parle, ça vit ! C’est la première fois que je monte un classique. Jusqu’alors, j’ai surtout mis en scène des textes contemporains. Même si je lis cette pièce depuis des années, je n’en trouvais pas la porte d’entrée : elle est vraiment apparue avec la musique, troisième élément essentiel de mon travail.

« La Thébaïde est une pièce sur le sang. »

C’est donc la raison de la présence du musicien Theo Hakola dans votre spectacle ?
S. L. : Theo Hakola affronte la musicalité de l’alexandrin, l’accompagne ou se frotte à elle. C’est un guitariste électrique qui vient du rock, auteur d’une musique cinglante et abrupte dont le blues n’est jamais loin. La musique est présente du début à la fin de la pièce en systèmes de vagues, de pulsations, de boucles. Pour les personnages féminins, on essaie de s’approcher du chant de façon brève et subtile. Je tiens évidemment au respect classique de l’alexandrin, de sa forme et de sa rigueur. Mais cette rigueur dit un monde plongé dans le chaos qui nous amène à quelque chose qui frôle le chant : on n’est plus dans la raison mais à la frontière de l’humanité. Il s’agit de tenir un rythme très tendu où l’on sent poindre le chaos inéluctable.

Quel espace avez-vous choisi de dessiner pour cette tragédie sanglante ?
S. L. : Je voulais faire apparaître différents seuils sur le plateau en des lignes assez pures. La parole se déploie dans une antichambre. A l’extérieur, c’est la guerre. Au centre se trouve un carré, proche d’un ring. Autour de lui un no man’s land qui est l’univers de la suivante et au fond, un troisième espace dessiné par un tulle, où se trouve le musicien, qui figure l’espace de l’au-delà. Car j’ai voulu que le musicien soit aussi Œdipe, celui par qui tout est arrivé, présent dans un lieu que tous vont rejoindre puisque tous meurent. Cela permet de rappeler qu’à l’origine de la tragédie était la musique et qu’Œdipe était peut-être, dit-on, un aède.

Propos recueillis par Catherine Robert


La Thébaïde ou les frères ennemis, de Jean Racine ; mise en scène de Sandrine Lanno. Du 24 septembre au 26 octobre 2007. Lundi, mercredi, vendredi, samedi à 20h30 ; mardi et jeudi à 19h30 ; dimanche 30 septembre à 17h ; relâche les mercredis 26 septembre et 3 octobre et les dimanches 7, 14 et 21 octobre. Centre Dramatique National de Montreuil, salle Maria Casarès, 63, rue Victor-Hugo, 93100 Montreuil. Réservations au 01 48 70 48 90.

A propos de l'événement


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