La Mouette
De Anton Tchekhov / traduction Antoine Vitez / mes Frédéric Bélier-Garcia
Publié le 18 décembre 2012 - N° 205La Mouette, pièce mythique de Tchekhov sur la vanité de la vie et de l’art, prend son envol sur la scène de Frédéric Bélier-Garcia. Du grand théâtre.
La jeunesse est le temps des audaces, des essais et des excès ; sitôt éprouvée, on la regrette. Éphémère et fragile, elle nous accompagne puis nous abandonne, telle l’aurore poétique d’une vie trop vite menacée. Hamlet de Shakespeare est le palimpseste de La Mouette de Tchekhov, selon Vitez, « le » spécialiste dont Frédéric Bélier-Garcia choisit la traduction atemporelle pour mettre en scène la pièce russe à travers une savante exigence esthétique. Comme si le deuil de la jeunesse était l’expérience malheureuse initiatrice, les « enfants du printemps » – shakespeariens ou non – touchent souvent au néant avant que ne s’épanouissent toutes leurs promesses. L’auteur dramaturgique Treplev prétend à de nouvelles formes et veut représenter la vie telle qu’on la voit dans les rêves, il est aussi doté d’un don neuf de prophétie pour la préservation de la faune et de la flore. Sa mère, Arkadina, comédienne confirmée, méprise ces prétentions d’artiste, elle dit ne jamais penser ni à la vieillesse ni à la mort, occupée à préserver non pas la planète, mais son compagnon, l’écrivain Trigorine (Magne-Havard Brekke). Cette mère envahissante en même temps que défaillante est le modèle féminin et théâtral auquel Nina (Ophelia Kolb), la jeune fille dont est amoureux Treplev sans être aimé en retour, voudrait ressembler. Elle n’approche l’icône qu’en tombant amoureuse de son amant Trigorine. Un choix trompeur, ce qu’on appelle une erreur de jeunesse…
Tchekhov est un révélateur de l’âme
Nina sera une comédienne médiocre, elle n’aura appris qu’une chose en perdant sa naïveté juvénile : porter sa croix sans attendre la gloire et garder la foi. La pulsation de joie qui battait dans sa jeunesse de vingt ans s’est définitivement engourdie. Tchekhov est un ciseleur de mots et un révélateur de l’âme, son monde n’est transposable qu’avec d’infinies précautions, ce que réussit le metteur en scène, inspiré par l’esprit visionnaire de Stanislavski dans sa mise en scène de 1898 avec Nemirovitch-Dantchenko, et la peinture de Vuillard, dont Intérieur à la table à ouvrage. Les costumes féminins, brodés et colorés, disparaissent à côté des lourdes tentures murales, comme si l’intérieur encombré d’objets et de meubles de la datcha de Sorine (Michel Hermon), le frère d’Arkadina, étouffait peu à peu les élans enthousiastes que la Nature est seule capable d’accorder, le lac dans le jardin et le souffle du vent dans les arbres. Peu à peu, l’enfermement, auquel se réduit le cours de la vie, altère l’atmosphère. Les comédiens Brigitte Roüan, Jan Hammenecker, Stéphane Roger ont une vraie présence. Manuel Le Lièvre (Treplev) ne semble rien laisser au hasard, orchestrant sa fin fatale ; Agnès Pontier en Macha porte avec grâce le deuil de sa vie ; Eric Berger donne, avec ses pas dansés, de l’éclat à l’instituteur Medvedenko. Quant à Nicole Garcia, actrice et mère du metteur en scène dans la vie, actrice et mère du dramaturge dans la pièce, elle tient son rôle en majesté.
Véronique Hotte
A propos de l'événement
La Mouettedu mercredi 30 janvier 2013 au dimanche 10 février 2013
Célestins
4 Rue Charles Dullin, 69002 Lyon
Lyon – Théâtre des Célestins – du 30 janvier au 10 février. T2l : 04 72 77 40 40