La Force de tuer
Une jolie propension filiale à tuer, directement proportionnelle à l’empêchement paternel à vivre. Toute la radicalité de l’écriture dépouillée de Lars Norén sur les frustrations amères familiales.
Le jeune metteur en scène Adrien Lamande s’est attaché à la cruauté sans partage de La Force de tuer, l’une des premières pièces de Norén qui fouille et décape à blanc les relations intimes à l’intérieur du premier foyer de conflits qui soit, la famille. La mère n’est plus ; le fils semble prendre en charge le père inactif, qui a servi longuement dans la restauration, la situation identique du fils aujourd’hui et de son amie. Cette dernière – à la fois belle et libre poupée manipulée à travers la prestation de Lou Wenzel – se fait malgré elle objet vulgarisé de désir. Tension écartelée entre les deux hommes, désir convoité et interdit pour le plus ancien mais légitime pour le plus jeune, le prétexte à une guerre ouverte entre les prétendants hostiles. La représentation éclaire subtilement la confusion de ce conflit générationnel en posant d’emblée sur le plateau deux joyeux lurons, étrangement d’âge similaire, Jean-Baptiste Azéma et Julien Villa, concurrents et partenaires en lice dans cette aptitude à vivre, ennemis et amis, Abel et Caïn sans fin.
La mise en scène baroque de Lamande aime volontiers la facétie.
Une leçon de choses et d’échec sur les capacités sexuelles d’un père faible et pleutre à jamais insatisfait par une existence insignifiante qui empêche son propre fils, le double projeté de lui-même et instinctivement jalousé, de simplement vivre et d’être. Comme s’il était possible d’arrêter le temps, de s’immobiliser existentiellement et de nier l’avenir que véhicule cette image prometteuse de la jeunesse au profit d’un présent médiocre, frelaté et tronqué par le passé de celui qui a vécu. « Sur la scène, y’a des gosses… Sur la scène, y’a du faux qu’on prendrait pour du vrai… », des paroles significativement justes de Léo Ferré. Vouloir désespérément être l’autre, le plus beau, le plus vif, celui qu’on aimerait être et souhaiter le faire taire jusqu’à le nier et le dénier. En l’occurrence, le fils, celui qui va effectivement tuer l’intrus qu’est le père est la victime originelle désignée et acculée à l’acte fatal pour pouvoir survivre. Tout n’est pas rose dans les foyers, c’est pourquoi la mise en scène baroque de Lamande aime volontiers la facétie. Le fils revêt une collerette de Pierrot, s’amuse des crânes de catacombes napolitains et déclame avec emphase, le père porte un masque macabre d’horreur tandis que l’amie se livre à une danse impudique inopinée. Et chacun de douter de son texte de théâtre. La vie est peu de choses qu’il ne sied pas de prendre trop au sérieux, si ce n’est justement ces scènes d’allégresse.
Véronique Hotte
La Force de tuer
De Lars Norén, texte français Amélie Berg, mise en scène d’Adrien Lamande, du mardi au samedi 21h30 jusqu’au 29 septembre 2007 au Théâtre des Déchargeurs 3, rue des Déchargeurs 75001 Paris www.htbillet.com
0892 70 12 28 (0,34c/mn) Texte publié à L’Arche Éditeur.