Hannibal
Ce fut l’un des événements de la rentrée : le [...]
La Sicile est à l’honneur avec cette courte pièce qui mêle La Fleur à la bouche, pièce en un acte de Luigi Pirandello, et Le Guépard, roman unique et posthume de Tomasi di Lampedusa.
Quand Louis Arène fait son entrée dans la grande maison de la Comédie-Française en 2012, Michel Favory l’y a précédé de vingt-quatre ans, et en est devenu sociétaire à peine quatre ans plus tard. Se joue donc un passage de témoin dans ce projet initié par le désir de l’aîné des deux comédiens, que le cadet a mis en scène. Mis en scène ou mis en jeu, plutôt, puisque La Fleur à la bouche fait dialoguer deux hommes à la terrasse d’un café, une nuit, dans une gare. Fidèlement, y adjoignant simplement les éléments d’une météorologie pluvieuse, Louis Arène opte pour une scénographie dépouillée, toute en clair-obscur, mi-réaliste, mi-fantastique, à laquelle concourent un accompagnement sonore qui sait à la fois se faire entendre et oublier, et des masques qui, en même temps, collent à la peau et théâtralisent le trait. On est à la fois soi-même et un rôle, comme dans la vie, « on meurt avec un masque sur le visage » explique également l’homme qui porte une invisible fleur à la bouche, une discrète « epitholemia » dont le beau nom ravirait s’il n’annonçait pas, ironie toute pirandellienne, que la fin est bien proche.
Plus littéraire que théâtral
Est mourant également dans cette pièce Fabrizio Salina, héros du roman de Lampedusa, dont le personnage de l’homme à la fleur à la bouche lit de longs passages à la terrasse du café. Joli pied de nez que de dédoubler un personnage de Pirandello dans une altérité romanesque, quand l’auteur italien se fit spécialité, par son théâtre dans le théâtre, de rapprocher les siens de la réalité. Sur ce principe de l’entrelacement des deux histoires, l’alchimie s’opère donc autour de la thématique de la mort et lance bien sûr à cette occasion quelques réflexions sur le sens de la vie. Soixante-dix ans de douleurs pour trois ans de bonheur, c’est l’implacable décompte qu’opère ainsi le Prince sicilien parvenu à son crépuscule, quand l’homme à la fleur se raccroche lui à la vie par l’imagination, aimant à regarder les gens et les choses « autour desquels son [mon] imagination peut travailler librement ». On pense alors à l’importance du jeu pour le comédien, et de l’écriture pour ce personnage double de Pirandello qui fait figurer dans l’ombre sa femme paranoïaque. Il est donc question d’art et de sens de l’existence ici, mais pas assez de vie. Car à la frontière du monologue et du dialogue l’ensemble reste très écrit, plus littéraire que théâtral, et l’énergie du plateau cède un peu trop souvent au texte, l’incarnation théâtrale au pouvoir évocateur des mots.
Eric Demey