La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien /Festival d'Avignon 2021

La Dernière Nuit du monde de Laurent Gaudé, mise en scène de Fabrice Murgia

La Dernière Nuit du monde de Laurent Gaudé, mise en scène de Fabrice Murgia - Critique sortie Théâtre Avignon Festival d’Avignon. Cloître des Célestins
Laurent Gaudé © Jean-Luc Bertini

Cloître des Célestins / de Laurent Gaudé / mise en scène Fabrice Murgia

Publié le 5 mai 2021 - N° 290

La dernière création de Fabrice Murgia met en scène le nouveau texte de Laurent Gaudé. Une dystopie dans laquelle la nuit serait abolie grâce à une pilule révolutionnaire…

Comment est venue cette idée, au cœur du texte, que le sommeil représentant un scandale dans le monde capitaliste, il faut le réduire au maximum ?

Laurent Gaudé : Après notre collaboration de 2014 pour Daral Shaga à l’Opéra de Limoges, Fabrice Murgia et moi avions envie de mener un projet en commun. Notre nouveau spectacle est né de plusieurs lectures sur le thème de la nuit et du rapport qu’entretiennent nos sociétés avec elle, notamment La Nuit de Michael Foessel et 24/7 de l’essayiste américain Jonathan Crary. Ces textes, ramassés en une pensée, nous ont fait prendre conscience d’une tendance qui était jusque-là assez diffuse. L’objectif n’était pas d’écrire une pièce militante mais de brandir un sujet comme la nuit qu’on ne considère pas forcément à l’aune de la menace, contrairement à l’environnement ou à la planète, alors qu’elle ne cesse d’être entamée : on dort de moins en moins, les villes ne cessent de devenir plus lumineuses, sans parler de la culture du 24h sur 24, si confortable pour les consommateurs !

 On ne peut s’empêcher de se demander quand ce texte a été écrit tant les résonnances sont fortes avec la pandémie, y compris dans le thème du châtiment qui nous frapperait pour avoir épuisé les ressources de la planète.

L.G. : Le projet est né avant mais la contrainte permanente liée à la pandémie est devenue si importante, ne serait-ce que parce que Fabrice Murgia habite à Bruxelles et moi à Paris, que le seul aspect positif a été de jouer avec les résonnances pendant l’écriture : ainsi de la sémiologie du « monde d’avant / d’après », du discours pharmaco-médical avec la pilule du sommeil… Quant à l’idée de punition, c’est un mouvement naturel, quand le sort frappe, de lever les yeux au ciel et de demander pourquoi. Chacun y répond ensuite comme il veut, mais il est certain que dans les années à venir se posera une interrogation sur la nuit et ce qu’on en fait. Cela concerne le travail, l’activité humaine… tout ce qu’on appelle de nouveau un écosystème et qu’on a vu longtemps comme un sac de ressources.

« La nuit nous met ailleurs vis-à-vis de l’image d’homme actif que l’on a de nous-même. »

Supprimer la nuit, est-ce aussi une métaphore de la mort qu’on voudrait occulter ?

L.G. : Oui, en tout cas de la perte de contrôle. C’est ce qui est si fascinant et compliqué avec la nuit : elle est le moment où quelque chose en nous disparaît, elle est une mise en veille de sa conscience. On le voit avec les enfants pour qui le moment de l’endormissement peut être très angoissant. Accepter de n’être plus au monde pendant quelque temps, accepter de confier le monde à autre chose qu’à soi-même et aux hommes… c’est un rapport aussi à sa propre confiance, accepter d’être sur un autre mode, accepter cette vie qui existe, plus inaccessible mais aux fonctions sans doute fondamentales, comme l’a montré la psychanalyse. La nuit nous met ailleurs vis-à-vis de l’image d’homme actif que l’on a de nous-même.

 Si ce n’est pas un texte militant, est-ce une ode à la nuit ?

L.G. : C’est un paradoxe que j’aime beaucoup : au début de nos conversations avec Fabrice Murgia, nous pouvions donner l’impression de nous faire les défenseurs de la nuit, mais au bout d’un moment, il est apparu que nous les premiers, en tant qu’hommes de théâtre, nous éclairons et peuplons la nuit, essayant de reculer le moment de se coucher ! Finalement, le meilleur moyen d’aimer la nuit serait d’aller se coucher comme les poules !

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

La Dernière Nuit du monde de Laurent Gaudé, mise en scène Fabrice Murgia
du mercredi 7 juillet 2021 au mardi 13 juillet 2021
Festival d’Avignon. Cloître des Célestins
Place des Corps Saints, 84000 Avignon

à 22h, relâche le 11. Durée : 1h20. Le texte est publié aux éditions Actes Sud-Papiers.

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre