La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

La Danse du Diable

La Danse du Diable - Critique sortie Théâtre Paris Athénée Théâtre Louis-Jouvet
© Michèle Laurent

Athénée Théâtre Louis-Jouvet / de et avec Philippe Caubère

Publié le 28 octobre 2014 - N° 225

Evénement ! Plus de trente ans après sa création, Philippe Caubère reprend La Danse du Diable, la matrice de son autofiction théâtrale. L’Athénée sert d’écrin à cette histoire comique et fantastique.

Pourquoi avoir choisi l’Athénée pour cette reprise ?

Philippe Caubère : C’est à la fois le hasard et comme un dénouement. Après sa création au printemps 1981, je voulais jouer ma pièce à Paris. J’avais découvert l’Athénée avec la tétralogie de Molière mise en scène par Vitez. J’étais émerveillé et ébloui par le théâtre de Louis Jouvet. Grâce à Pierre Bergé et Danielle Cattand, j’ai pu jouer La Danse du Diable à l’Edouard VII, mais j’avais toujours l’idée, le rêve, le fantasme que cette pièce pouvait trouver sa place, comme une évidence naturelle, à l’Athénée. Je suis revenu à la charge plusieurs années après, et j’ai tenté de convaincre Josyane Horville, mais je n’y suis pas parvenu. Ensuite, j’y ai joué Le Roman d’un acteur. Mais La Danse du Diable demeurait comme une sorte de promesse à venir d’un temps retrouvé.

« A la fois des retrouvailles et une reprise de l’origine du travail pour repartir vers d’autres aventures. »

Comment le dénouement s’est-il produit ?

P. C. : Après mon accident et la rupture du tendon d’Achille qui m’a forcé à abandonner la reprise de cette pièce, j’ai repris les négociations avec Patrice Martinet, et les choses se sont débloquées. Tout s’est ouvert, comme un dénouement. Les lieux où l’on joue sont très importants. J’ai eu la chance de pouvoir habiter de beaux théâtres. Mais l’Athénée, c’est le théâtre de Louis Jouvet, ce qui est extrêmement important. Il y a quelque chose qui n’a pas bougé dans ce théâtre ; on y voit toujours la grande carte de la tournée de Jouvet en Amérique du Sud. C’est comme quand on va dans la Cour d’honneur, à Avignon : on pense forcément à 1947 et au premier festival. Et Patrice Martinet a donné une vie incroyable à ce théâtre, avec une programmation originale, à la fois branchée et populaire. J’avais envie d’y jouer.

Pourquoi reprendre aujourd’hui ce spectacle ?

P. C. : C’est un spectacle que j’ai repris jusqu’en 2000. A partir de 2000, j’ai commencé le cycle dont ce spectacle était un peu le brouillon. Il était impossible de faire cohabiter les deux. La Danse du Diable est l’œuf dont tout est sorti. Y revenir, c’est comme revenir à l’origine du travail, comme un rassemblement, qui permet de retrouver les personnages ensemble, dans un seul geste. Après la série et le cycle, un seul geste réunit tous les personnages le temps d’une soirée. Cela constitue donc à la fois des retrouvailles et une reprise de l’origine du travail pour repartir vers d’autres aventures.

Comment reprend-on une pièce créée il y a plus de trente ans ?

P. C. : Quand je la joue c’est ici et maintenant, comme si je l’avais créée hier ou avant-hier. Quand on joue une pièce de Molière, on s’en fout de savoir qu’elle a été écrite au XVIIème siècle. Je suis dans le présent, ni dans la nostalgie ni écrasé par le poids du passé. Et en même temps, c’est une cure de jouvence. Cela permet de se souvenir de la jeunesse, de l’enfance. Car c’est pour ça qu’on fait du théâtre, pour ne pas quitter l’enfance, qui est le seul regard qui compte.

Quelles sont les aventures vers lesquelles vous voulez repartir ?

P. C. : Mon rêve d’aujourd’hui, est de jouer un cycle qui s’intitulerait Le Sud et qui regrouperait les figures des trois hommes dont j’ai célébré les œuvres ces dernières années :  Benedetto, Suarès et Montcouquiol. Jouer ensemble deux textes de Benedetto, deux de Suarès et un sur Montcouquiol, et me joindre à eux avec deux spectacles. Il y aurait sept spectacles en tout, qui, ensemble, donneraient mon idée du Sud, dont la nature et la personnalité sont différentes de celles qui sont habituellement convenues.

Quelle est la couleur de ce Sud auquel vous rendez hommage ?

P. C. : Tout sauf le foot ! Marseillais moi-même, j’en ai assez de n’en entendre parler que via le foot et la délinquance. Il y a une telle richesse, une telle diversité dans cette ville tellement belle, tellement laide, une telle violence aussi, qu’elle inspire une passion qui interdit qu’on la réduise à une ville désargentée qui jouerait au foot pour se consoler… Le Sud, ça veut dire aussi la Provence, c’est-à-dire une identité particulière. J’ai envie d’exprimer poétiquement cette identité, qui n’est ni Paris, ni la France, qui est celle d’un autre pays que, là encore, on ne peut pas réduire à la pagnolade. Le combat occitan des années 70, c’est celui du Larzac et du plateau d’Albion, mais la Provence, c’est aussi Mistral et le soupçon de la réaction… L’identité occitane dépasse les caricatures : elle est une chose éternelle, qui regroupe tout ce qui se trouve au sud de la Loire, de Bordeaux à l’Italie, de l’Espagne à Clermont-Ferrand. Il y a une idée moderne de l’Occitanie, une réalité poétique, un langage, une façon de penser, une éthique que j’aimerais montrer. Il y a aussi une notion élitiste dans cette idée et dans les hommes qui l’incarnent et auxquels j’ai choisi de rendre hommage : ce sont des hommes seuls, des condottieres, des aristocrates de la pensée et de la sensibilité, et je suis leur clown, leur fou, leur enfant comique.

Quelles différences entre l’interprète d’hier et celui d’aujourd’hui ?

P. C. : C’est plus compliqué à soixante-quatre ans qu’à trente. C’est le corps qui change ; et le théâtre c’est d’abord le corps. Le texte est à peu près le même, dans sa version originale et intégrale. Mais ce qui change surtout, c’est le regard que je pose sur les personnages. A trente ans, deux ans après sa mort, je faisais une satire de ma mère. Aujourd’hui j’ai soixante-quatre ans, c’est une jeune fille pour moi, elle pourrait être ma fille, elle me charme, ce n’est plus du tout le même rapport au personnage. Je ne la considère plus comme je le faisais alors, comme porteuse d’un discours contradictoire ; au contraire, j’aurais tendance à considérer qu’elle a toujours raison. Je trouve que tout ce qu’elle raconte est juste ; je comprends son ironie féroce, ses craintes et ses sarcasmes. Hier, les personnages étaient comme des géants, aujourd’hui ils m’apparaissent comme tout petits, comme si je surplombais la pièce.

 

Propos recueillis par Catherine Robert

A propos de l'événement

La Danse du Diable
du mardi 4 novembre 2014 au dimanche 7 décembre 2014
Athénée Théâtre Louis-Jouvet
7 Rue Boudreau, 75009 Paris, France

Le mardi à 19h ; mercredi, vendredi et samedi à 20h ; dimanche à 16h. Relâche lundi et jeudi. Tél. : 01 53 05 19 19.

x

Suivez-nous pour ne rien manquer sur le Théâtre

Inscrivez-vous à la newsletter

x
La newsletter de la  Terrasse

Abonnez-vous à la newsletter

Recevez notre sélection d'articles sur le Théâtre