La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Jean Moulin

Jean Moulin - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre Déjazet
© DR

Théâtre Déjazet / texte de Jean-Marie Besset / mes Régis de Martrin-Donos

Publié le 26 septembre 2018 - N° 269

Comme dans sa première pièce de théâtre Villa Luco, l’auteur dramatique renoue avec l’histoire de France. C’est encore la Deuxième Guerre mondiale qui a ses faveurs à travers le portrait chronologique de Jean Moulin.

« Tout ce que je dis n’est pas vrai mais est tout à fait vraisemblable. »

 Jean Moulin est une figure qui vous attire depuis longtemps. Qu’est-ce qui vous a le plus intéressé en lui ?

Jean-Marie Besset : C’est un peu un anti-héros. Il est l’anti de Gaulle : autant ce dernier est une figure hors du commun, dotée de beaucoup de panache, extrêmement lyrique dans son expression, autant Jean Moulin est un homme très simple, tout à fait discret et même secret. À ce titre, il n’est pas étonnant qu’il soit devenu chef de la Résistance car avant la guerre il compartimentait sa vie. Ce qui me touche aussi, c’est que nous sommes de la même région : lui de Béziers, moi de Limoux. Nous sommes issus d’un milieu semblable et nous n’avons que 60 ans d’écart. La pièce commence quand il est préfet de Chartres. Jusque-là, c’était un jouisseur, un amateur de belles choses, et puis la guerre éclate et il se hisse à la hauteur des circonstances. Il change et devient peu à peu cette figure christique. Dans un premier temps, j’avais d’ailleurs appelé le texte Jean Moulin, l’Évangile.

Les références christiques restent présentes, comme l’acte IV intitulé « Passion ».

J.-M. B. : Elles le sont par la force des choses. C’est un homme torturé par les Allemands dès 1940, il manque mourir, il tente de se suicider et il est en sursis. Cela en fait quelqu’un qui n’a pas peur d’aller au-devant des risques et des prouesses que requiert la résistance.

Un point central est la rencontre entre Jean Moulin et le général de Gaulle à Londres en octobre 1941. Sur quels éléments vous êtes-vous appuyé pour restituer ce rendez-vous ?

J.-M. B. : Tout ce que je dis n’est pas vrai mais est tout à fait vraisemblable. Les réunions entre Jean Moulin et de Gaulle constituent un matériau de choix pour un dramaturge puisqu’on n’en possède aucun compte rendu. J’ai fait mon service national à Londres. À chaque fois que je passais devant le QG de la France Libre à Carlton Gardens, je me disais : « un jour, il faudra que tu arrives à écrire sur cette fameuse rencontre ». J’y ai pensé pendant 25 ans. Et tout à coup je m’y suis mis, et c’est venu après 25 ans de travaux, de lectures, d’entretiens. La vraie prouesse de la pièce est peut-être d’avoir écrit ces deux scènes entre de Gaulle et Jean Moulin. Je pense qu’elles frappent les spectateurs car ils sentent que cela a dû se dire.

Comment expliquez-vous qu’il y ait si peu de théâtre historique en France ?

J.-M. B. : Pour des raisons de censure, je crois. Nos grands dramaturges classiques Corneille et Racine ont pris quasiment tous leurs sujets dans l’Antiquité ou le Haut Moyen Âge. Même si on a pu dire que Britannicus était une allusion au règne de Louis XIV, c’était dissimulé, alors que Shakespeare a tout de suite mis le théâtre anglais sur la voie des rois qui venaient de régner. Bizarrement, la grande pièce sur la Révolution n’est pas d’un Français mais d’un auteur allemand : Büchner (La Mort de Danton). Les Français ont assez peu traité leur histoire récente.

Vous êtes-vous vous-même autocensuré parfois en écrivant cette pièce ?

J.-M. B. : En 1989, ma première pièce, Villa Luco, a fait l’objet d’un procès de la part du fils et de la fille de de Gaulle qui avaient demandé son interdiction au TNS. À l’époque, le Général n’avait jamais été représenté au théâtre. J’ai gagné le procès, il a fait jurisprudence. Depuis, je ne me suis jamais censuré.

Sur la responsabilité de René Hardy dans l’arrestation de Jean Moulin, vous tranchez.

J.-M. B. : C’est tranché depuis longtemps. Qu’il ait donné Jean Moulin, qu’il ait été la cheville ouvrière de la trahison, ça c’est sûr. La seule question qui demeure nébuleuse, c’est combien de personnes étaient au courant ? On se concentre sur René Hardy mais c’est quand même Klaus Barbie qui a tué Jean Moulin. Moi je synthétise un peu les querelles de cette période. Sa mort arrangeait les Allemands et Vichy bien sûr, mais aussi les mouvements de résistance : beaucoup se seraient mieux vus à la place de Moulin.

Quel regard portez-vous sur la mise en scène de Régis de Martrin-Donos ?

J.-M. B. : Je la légitime par ma présence (je fais partie de sa distribution en jouant le rôle de Pascal Copeau) et j’en suis très heureux. Le premier à s’être intéressé à la pièce était Jacques Lassalle qui en avait fait une lecture spectacle au festival NOVA en 2015 – son dernier travail. Ensuite, Régis qui était son assistant au festival, a repris le flambeau. Cela m’importait beaucoup qu’un jeune homme soit un passeur. Peut-être est-il plus susceptible de sensibiliser les 20/30 ans à Jean Moulin.

Entretien réalisé par Isabelle Stibbe

A propos de l'événement

Jean Moulin
du jeudi 18 octobre 2018 au samedi 17 novembre 2018
Théâtre Déjazet
41 boulevard du Temple, 75003 Paris

Du lundi au samedi à 20h30. Matinées exceptionnelles les samedis 20, 27 octobre et 3 novembre à 16h. Tél. : 01 48 87 52 55.

Le texte est édité à l’Avant-Scène Théâtre – collection des 4 vents.

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