La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Critique

Les Enivrés

Les Enivrés - Critique sortie Théâtre Paris Théâtre de la Tempête
Les Enivrés dans la mise en scène de Clément Poirée, une partition parfaitement maîtrisée. © Léna Roche

d'Ivan Viripaev / traduit du russe par Tania Moguilevskaia et Gilles Morel / mes Clément Poirée

Publié le 26 septembre 2018 - N° 269

Clément Poirée met en scène avec un talent sûr  la partition d’Ivan Viripaev, de plus en plus présent sur nos scènes. L’épopée dérisoire de personnages ivres, clowns philosophes qui célèbrent la capacité d’aimer. Une superbe réussite !

Etonnant texte et époustouflantes mise en scène et interprétations. Clément Poirée emporte comédiens et public dans une ronde nocturne où tous les personnages, « copieusement ivres », chutent, se redressent, tanguent, se confient, se répètent, s’éprennent, se révèlent aux autres et à eux-mêmes. Ils évoquent l’amour, le sens de l’existence, Dieu… Malgré une instabilité continue, malgré la peur et l’incertitude pour la journée du lendemain, malgré une infinité de raisons d’être pessimiste sur le monde, ce théâtre s’avère incroyablement vigoureux et invite à l’action plutôt qu’à la lamentation, à un optimisme fondamental qui célèbre infiniment la vie. « Nous devons aimer, aimer et aimer, putain. » dit l’un des 14 protagonistes, pour la plupart trentenaires, citoyens plutôt nantis d’une Europe qui n’a pas trouvé sa voie. Ce qui frappe dans la langue d’Ivan Viripaev, c’est un saisissant mélange de trivialité et de spiritualité, qui au détour d’une situation loufoque laisse surgir des fulgurances et des questionnements essentiels. Son théâtre nous apostrophe, avec ironie, sincérité, dérision, vulgarité, dans une pleine conscience de la complexité et de la cruauté du monde.

« Aimez, soyez forts »

Clément Poirée installe une scénographie judicieuse qui donne toute sa place au déploiement de la langue comme au jeu des comédiens. Une tournette à la cloison translucide délimite un espace épuré, aux reflets instables et déformants, qui inclut le public dans la représentation en évitant l’ancrage dans un réel donné ou la mise à distance. Si les déplacements demeurent dangereusement bancals du début à la fin, les mots claquent avec ferveur, au fil de scènes plus ou moins déjantées et de moments de vérité tous plus foutraques les uns que les autres, où s’expriment l’aveu d’une infidélité, le refus de la mort de sa mère, les délires d’un frère prêtre qui n’existe pas, une demande en mariage, « le chuchotement du Seigneur dans notre cœur »… Les comédiens donnent merveilleusement corps à ces clochards célestes, ou plutôt ces clochards d’aujourd’hui, éperdus, vulgaires, en manque de sens  plutôt que de biens matériels. Des clowns philosophes et burlesques à la fois désespérés et célébrant à leur manière le pouvoir de changer comme le bonheur d’aimer. Les comédiens réussissent haut la main le très difficile pari du passage à la scène. John Arnold est grandiose, de même que Bruno Blairet, et Thibault Lacroix, Camille Bernon, Aurélie Arto, Matthieu Marie, Camille Cobbi et Mélanie Menu. Le mot de la fin à Baudelaire, expert en ivresse poétique à l’instar d’Omar Khayyâm, le poète cité en exergue du texte. « Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. »

Agnès Santi

A propos de l'événement

Les Enivrés
du vendredi 14 septembre 2018 au dimanche 21 octobre 2018
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, Route du Champ de Manœuvre, 75012 Paris.

du mardi au samedi à 20h, dimanche à 16h. Tél : 01 43 28 36 36. Durée : 2h20. 

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