Crime et Châtiment
Bouffées de noirceur et d’introspection, [...]
Dans le cadre d’une carte blanche à Yasmina Reza, Frédéric Bélier Garcia monte à La Scala Paris Dans la luge d’Arthur Schopenhauer. Un texte entre désespoir et éclat de rire sur le désarroi d’un spécialiste de Spinoza qui découvre que la vision optimiste de son philosophe préféré est une chimère face à l’épreuve du réel. Et si le pessimime de Schopenhauer était plus pertinent que la joie de Spinoza ? Éléments de réponse avec un metteur en scène qui consacra sa maîtrise à… Spinoza !
Comment avez-vous découvert ce texte que vous avez créé en 2006 à Théâtre Ouvert ?
Frédéric Bélier-Garcia : Yasmina Reza et moi avions envie de travailler ensemble depuis longtemps. Elle ne destinait pas nécessairement ce texte au théâtre, mais au cours de l’écriture, alors qu’elle m’envoyait progressivement des pages pour discuter ensemble de sa théâtralité, il me semblait de plus en plus que le texte développait un dispositif de narration assez inédit au théâtre.
« Comme toujours, c’est l’alchimie d’un mélange : une sorte de légèreté du désespoir ou de désespoir de la légèreté ! »
C’est-à-dire ?
F.B.-G. : En dehors de ce que les personnages disent dans une parole volubile ou ténébreuse, il y a ce système d’écoute par différents personnages – déjà à l’œuvre parfois chez Strindberg ou Pinter, mais présent ici dans toute la pièce –, où le sens, ce qui est dit, l’avancée des affects viennent autant des personnages qui parlent que de l’écoute dans laquelle est prisonnier l’interlocuteur. Autour du quatuor de personnages, lui-même centré autour de ce professeur de philosophie qui perd pied, chacun explique à un autre le problème de cet homme. Celui qui écoute ne commente pas ce que l’autre dit. L’écoute dans laquelle il est muré agit comme une caisse de résonnance qui théâtralement fonctionne très bien.
Le dispositif de mise en scène est trifrontal. Comment est venue cette idée ?
F.B.-G. : C’est l’envie d’avoir les acteurs très proches du public et sans image derrière eux, de sorte que leurs personnages soient esseulés avec leur parole, et que le spectateur se trouve forcé de suivre le flux de leurs pensées telles que les écrit Yasmina Reza : ce sont des pensées qui s’emballent, passent du coq à l’âne, suivent le flou des humeurs des personnages.
Entre la version de 2006 et celle d’aujourd’hui, votre vision du texte a-t-elle changé ?
F.B.-G. : Je ne sais si c’est mon écoute ou l’incubation du texte par les acteurs qui fait qu’on y entend d’autres résonnances. Par exemple les envolées politico-lyriques du personnage Serge Othon Weil sur le côté positif de la modernité économique. Et puis le plateau comprend trois acteurs présents en 2006 : avec le temps qui passe, leur lecture a pris d’autres volutes existentielles…
Tirent-elles plus vers Schopenhauer ou vers Spinoza ?
F.B.-G. : (rires) Comme toujours, c’est l’alchimie d’un mélange : une sorte de légèreté du désespoir ou de désespoir de la légèreté ! La luge dont parle le titre de la pièce, je la vois comme ce sentiment de dévalement dans l’existence qui peut nous envahir. Mais comme dans une luge, c’est à la fois terrorisant et joyeux !
Entretien réalisé par Isabelle Stibbe
à 20h, samedi 20 à 18h. Tél : 02 41 22 20 20. La Scala Paris, 13 boulevard de Strasbourg, 75010 Paris. Du 31 octobre au 24 novembre 2018. Tél. : 01 40 03 44 30. Durée : 1h20.
Bouffées de noirceur et d’introspection, [...]