Vaterland, le pays du père
Cécile Backès met en scène le texte écrit par [...]
Après le retentissant succès d’Illuminations, Ahmed Madani poursuit son entreprise de grande réconciliation, entre la France, son passé, et ses populations issues de l’immigration. Sur un vers de Lamartine, Je marche dans la nuit par un chemin mauvais.
On peut faire du théâtre très simplement. Si Illuminations mettait en scène un travail choral de jeunes comédiens amateurs issus du Val Fourré, Ahmed Madani revient à un dispositif plus classique dans Je marche dans la nuit par un chemin mauvais. Ici, tout est simple. La scénographie : une maison en bois vue à travers sa charpente, quelques sommaires éléments de mobilier. La distribution : deux acteurs, un jeune, un plus vieux, tout deux très bons. Et l’histoire aussi : Brahim et Muriel ont un fils, Gus, adolescent des villes que « tout saoule », qui suite à une dispute familiale, est envoyé passer l’été chez son grand-père à la campagne. Tout sépare ces deux-là : l’âge, le mode de vie, les références, et en apparence, les valeurs. Je marche dans la nuit par un chemin mauvais raconte donc comment ces deux étrangers, au départ diamétralement éloignés, vont se rapprocher, jusqu’à échanger des secrets qu’ils n’avaient jamais partagés. En toile de fond, trame métaphorique de l’action, ce passé de la guerre d’Algérie que Pierre, le grand-père, a toujours refoulé, et que la présence de Gus va permettre de faire réémerger.
Émouvoir et signifier
On peut faire du théâtre très simplement, certes. Mais rôdent alors les écueils du simplisme et de la facilité. Bien sûr, parfois, la pièce d’Ahmed Madani flirte avec les clichés : le grand-père bourru, un brin réac, aime la pêche et ne connaît rien aux Miel Pops, pas plus qu’aux Nuggets. Gus, lui, est accro à son portable, aux hamburgers, et passe son temps à glander dans son lit. Il souffre en outre que son père ne lui accorde pas plus d’attention et ne sache pas le valoriser. Mais à l’image de sa mise en scène, l’écriture de Madani est sobre et dépouillée. Ici, rien n’est laissé au hasard et rien n’est gratuit. L’histoire se déploie clairement, parcourt minutieusement les degrés du rapprochement entre les deux hommes, soigne à chaque étape la vraisemblance et échappe à toute artificialité. Elle ménage quelques surprises et contrepieds et démultiplie les degrés de lecture vers une action poétisée. Au final, tragique forcément, puisque la mort du grand-père était d’emblée annoncée, les deux comédiens font trembler l’émotion de cette réconciliation familiale – putativement nationale – en esquissant l’utopie réaliste d’un monde où la parole libérée permettrait de se rapprocher, de se comprendre dans sa commune humanité. La simplicité alors touche à une forme de grâce, quand elle se révèle complexe et fragile, finalement aussi compliquée que peut l’être la capacité à parler et toucher, à émouvoir et signifier.
Eric Demey
Du 14 mars au 13 avril, du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h30 Tél : 01 43 28 36 36. Durée : 1h40.
Cécile Backès met en scène le texte écrit par [...]