Pulp Festival
La bande dessinée s’invite dans la création [...]
A rebours de l’image si répandue d’une jeunesse individualiste et désengagée, Nasser Djemaï confronte sept adolescents à leur désir de changer le monde, à commencer par celui que nous construit la finance.
Après Invisibles et ses chibanis au passé refoulé, Nasser Djemaï s’intéresse à ces jeunes sur lesquels la société pèse de tout le poids de sa dette. Côté filles, il y a Chloé, jolie et sage, Mona la vénéneuse et Linda la bonne copine pas bien dans sa peau. En miroir, côté garçons, il y a Fausto, le petit bourgeois sympa, William le leader charismatique et Isaac qui n’y arrive pas avec les filles. Ils forment à eux six une bande d’ados comme les autres – commérages, amourettes, confidences, sexualité et vie à fleur de peau – sauf que les unit secrètement la détestation des banques. Avec eux également, Samuel, le septième, qui sort de l’adolescence, comme eux, sauf qu’un jour, ou plutôt une nuit, au terme d’une soirée arrosée, il tombe du haut d’un immeuble et meurt. Quand la pièce commence, Joachim, le jeune frère de Samuel, tente de comprendre ce qui s’est passé. Car, si on a retrouvé une forte dose d’alcool dans le sang de Samuel, il était de notoriété publique que celui-ci ne buvait jamais : cela le rendait aussitôt malade…
Europe embourgeoisée et vieillissante
L’histoire démarre donc un peu comme une enquête policière et, de fait, la tension dramatique ne faiblira jamais grâce à de nombreux rebondissements. Se greffe à cette action la découverte d’un groupe qui se demande comment combattre les banques – action violente ou pacifique ? – et, bien entendu, les évocations des éternelles affres de la vie adolescente. L’ensemble est tenu, parfois trop, par l’écriture et la mise en scène de Nasser Djemaï. Des personnages dont le parler est trop écrit, quelques monologues qui construisent à l’excès leur caractérisation, ou encore une forme de didactisme et de manichéisme lorsqu’il s’agit d’aborder la question de la dette peuvent gêner. Mais pourtant, si l’on voit souvent les ficelles de l’ouvrage, c’est bien son efficacité qui finit par l’emporter. A l’image de l’interprétation des jeunes comédiens qui finit par diffuser allègrement son énergie contrôlée. A l’image de ces débats sur le bien-fondé du recours à la violence, qui finissent par résonner de manière singulière dans notre temps. Ou encore à l’image de cet excessif désir d’absolu des adolescents qui vient de plus en plus chatouiller le spectateur – et semble-t-il l’auteur -, la puissance renversante de la jeunesse, que Djemaï a mâtinée de son habileté narrative, véhicule en fin de compte un propos rare et stimulant sur cette Europe embourgeoisée et vieillissante s’accommodant tranquillement d’un avenir qui n’en laisse aucun aux jeunes.
Eric Demey
Du 18 au 28 mars, mardi et vendredi à 20h30. Mercredi, jeudi, samedi à 19h3O. Dimanche à 16h. Tél : 01 55 48 91 00. Spectacle vu à la MC2 de Grenoble. Durée : 1h55.