Des Territoires – Trilogie, texte et mise en scène de Baptiste Amann
Portée par un souffle épique, la fiction [...]
Anne-Marie Lazarini et ses fidèles complices artistiques portent à la scène les chroniques de Françoise Sagan, écrites entre 1954 et 2003. Un cabaret littéraire orchestré avec minutie et talent, qui rend les mots merveilleusement vivants.
La gloire à 18 ans et en 188 pages avec son roman Bonjour Tristesse (1954), et dans son sillage une réputation plus ou moins scandaleuse : « Tout compte fait, whisky, Ferrari, jeu, c’est une image plus distrayante que tricot, maison, économie… De toute manière, j’aurais bien du mal à imposer celle-là. » dira-t-elle lors d’un entretien accordé à L’Express en 2003, peu de temps avant sa disparition. Hors-normes, Françoise Sagan l’est assurément, comme l’est le geste artistique plein, généreux et délié d’Anne-Marie Lazarini et des siens qui portent à la scène ses Chroniques. Si ce geste est aussi réussi, c’est parce qu’il permet en premier lieu de redécouvrir et de traverser une écriture, une vie et une époque, mais aussi parce que la forme esthétique choisie crée une qualité de relation formidablement vivante entre les mots, les comédiens et le public, entre le passé et le présent. Dans ce cabaret littéraire impeccablement orchestré, où les spectateurs prennent place autour de tables sur le plateau, l’écriture se déploie en de multiples prolongements et résonances, en de réjouissantes mises en abyme. Avec une fluidité qui impressionne, les mots circulent, touchent, se font voir et entendre sans aucun effet de facilité ou d’exubérance, dans une subtilité qui privilégie la qualité de l’écoute et la richesse de l’adresse. Initiées par des récits de voyages pour Elle à la demande d’Hélène Gordon-Lazareff, ces chroniques contrastées disent toute la liberté du regard de Françoise Sagan. Vive, acérée, virtuose, parfois malicieuse, son écriture saisit l’instant avec une acuité qui condense l’essentiel. Elle confie sa fascination pour l’implacable New York, son admiration pour le colossal et génial Orson Welles, sa passion pour Billie Holiday – « C’était une femme fatale, dans le sens où la fatalité s’en était prise à elle dès le départ ». Elle raconte aussi la foule cubaine acclamant Fidel, met en lumière les infirmières oubliées, prend la défense de Djamila Boupacha, jeune fille algérienne torturée par l’armée française. Elle évoque son goût du jeu et de la vitesse, l’émerveillement et la nécessité de la lecture.
Portrait d’une vie et mémoire d’une époque
Chaque chronique s’inscrit dans une tonalité singulière, et passer de l’une à l’autre exige un jeu d’une redoutable précision. Frédérique Lazarini, Coco Felgeirolles et Cédric Colas maîtrisent parfaitement leur partition, accompagnés par les intermèdes rythmés à merveille qu’a concoctés Andy Emler, et qu’interprète au piano Guilherme de Almeida. Dans les gradins sont installées les silhouettes de personnalités croisées par Françoise Sagan, des fantômes du passé qui rappellent que les strates du temps, loin d’être imperméables, se chevauchent toujours par une mosaïque de rapprochements. L’objet livre et le sujet littérature, qui semblent parfois s’absenter de notre époque si saturée d’immédiateté, ont une place d’honneur dans cette belle mise en scène, où François Cabanat crée la scénographie et Dominique Bourde les costumes. « J’ouvre un livre et un être humain me parle, aussi précisément, aussi sensiblement qu’il le peut, de tout ce qui me touche à cœur. De la vie, de la mort, de la solitude, de l’amour, de la peur, du courage. C’est toujours un cadeau. » confia Françoise Sagan à Elle en 1980. Aujourd’hui, de cette même manière précise et sensible, de ce même élan né des pouvoirs de l’imagination, cette création est aussi un cadeau. Un cadeau parfait pour se déconfiner l’âme, en toute prudence !
Agnès Santi
mardi 20h ; vendredi, samedi 20h30 ; mercredi, jeudi 19h ; samedi, dimanche 17h ; relâche lundi. Tél : 01 43 56 38 32. Durée : 1h35.
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