La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Théâtre - Entretien

Howard Barker

Howard Barker - Critique sortie Théâtre

Publié le 10 janvier 2009

L’expérience du « théâtre de la catastrophe »

Le Théâtre de l’Odéon rend hommage à Howard Barker* à travers un cycle de quatre spectacles : Gertrude (Le Cri), Le Cas Blanche-Neige, Les Européens, Tableau d’une exécution. L’occasion d’interroger la pensée théâtrale de l’auteur britannique.

Vous avez donné naissance au « théâtre de la catastrophe ». Pourriez-vous revenir sur les fondements de ce théâtre ?
Howard Barker : Avant tout, le « théâtre de la catastrophe » est une forme tragique, mais pas au sens classique du terme. Le plus souvent, la tragédie classique s’appuie sur un consensus moral collectif. Voyez Lear : c’est une grande tragédie, mais sa conclusion est au service d’une fonction de réconciliation. On peut en dire autant de beaucoup de pièces du répertoire grec. Mais pas du « théâtre de la catastrophe ». Car ce théâtre vise à déstabiliser l’attitude morale du public plutôt qu’à la renforcer. L’expérience qu’il propose est donc plus dure que la tragédie classique et, en un certain sens, plus gratifiante.
 
Quelle place le rire occupe-t-il dans votre théâtre ?
H. B. : Un bon tragédien a toujours un certain sens de la comédie. Cela peut aller jusqu’à la subversion de la narration, en produisant, comme chez Shakespeare, un mixte de rire et de douleur simultanés. Mais le caractère extrême des situations proposées dans mes pièces, et l’absence de tout réalisme social, permettent surtout d’explorer des possibilités d’actions inouïes. Cela entraîne un haut niveau de tension émotionnelle, et la décharge du rire, en provoquant une retombée de cette tension, indiquerait que la représentation n’a pas atteint ses objectifs.
 
Vous sentez-vous l’héritier d’un auteur ou d’un courant théâtral ?
H. B. : Tout écrivain anglais nommerait Shakespeare, je crois que cela va quasiment sans dire… A part cela, théâtralement, je ne suis pas conscient d’une influence. Sauf celle de Brecht, en tant que repoussoir. Son emprise a été énorme sur le théâtre anglais, des années 50 jusqu’à aujourd’hui. Je n’ai jamais pu m’y soumettre, et mon anti-brechtisme a certainement joué un rôle dans mon approche du tragique — Brecht, comme nous le savons, n’appréciait pas le tragique. Il faudrait donc parler de nausée plutôt que d’influence. Je crois que beaucoup d’artistes créent ainsi, en réagissant à un malaise plutôt qu’en essayant d’imiter ce qu’ils admirent.
 
« Le langage d’un acteur doit être artificiel, doté d’une texture qui rende sa différence sensible. »
 
Comment pourriez-vous caractériser votre langage théâtral ?
H. B. : Un discours tragique doit être poétique. Son langage doit se distinguer des codes naturalistes. En Angleterre, ces codes-là sont dominants. En visant à créer une langue pour la voix de l’acteur, on entre de plain-pied au royaume de la forme poétique. Le langage d’un acteur doit être artificiel, doté d’une texture qui rende sa différence sensible. Dans mon cas, cette texture trouve ses origines dans une forme d’anglais littéraire, imprégné d’un type d’argot qui a peut-être disparu aujourd’hui : l’idiome de la classe ouvrière londonienne où j’ai grandi.
 
Vous affirmez qu’il n’y a pas de message dans vos pièces. Qu’entendez-vous par là ?
H. B. : C’est une question qui intéresse l’histoire du théâtre. Dans le théâtre anglais tel qu’il s’est pratiqué depuis le milieu du XXème siècle, le message a longtemps été la raison d’être de la pièce. Ce qui a provoqué chez moi la nausée dont j’ai parlé tout à l’heure, puis, très tôt dans ma vie, ma rupture avec le Royal Court**. Il ne me semblait pas qu’un art aussi élevé que le théâtre, en particulier dans ses formes les plus hautes — je pense à la tragédie — dût jamais être contaminé par l’idée d’éclairer le public. Depuis Brecht, même auparavant — voyez Bernard Shaw ou le théâtre médiéval — une certaine tendance dramaturgique a visé à éduquer le public en matière de conduite morale. Dans les années 50 à 70, en Angleterre, ce trait s’est accentué à un point critique : il n’était plus question que de dénoncer (le capitalisme, l’Etat…). La décadence était si profonde que le public demandait quel était le message avant même que le rideau soit retombé. Les gens, intrigués, s’interrogeaient l’un l’autre sur le message — comme s’il devait être inclus dans le prix du billet. Dans ces conditions, par rapport à mon époque, mon propre travail devait inévitablement paraître révolutionnaire, puisque je ne consentais pas à m’en servir pour communiquer au public mes opinions, politiques ou autres. D’ailleurs, même si j’avais voulu le faire, je n’aurais sans doute pas choisi le théâtre pour cela. Il ne constitue pas un médium assez sûr. Le théâtre est glissant, change tous les soirs, au gré du rapport entre public et acteurs : ce n’est pas une forme idéale pour communiquer des clichés politiques.
 
Entretien réalisé par Manuel Piolat Soleymat (Remerciements à Daniel Loayza pour la traduction)


* L’Atalante présente également une œuvre d’Howard Barker (cf. les propos d’Agathe Alexis dans ce même numéro)
 
** Théâtre londonien de création contemporaine.
 
Gertrude (Le Cri), mise en scène de Giorgio Barberio Corsetti. Du 8 janvier au 8 février 2009. Théâtre de l’Odéon 6e.
Le Cas Blanche-Neige, mise en scène de Frédéric Maragnani. Du 4 au 20 février 2009. Ateliers Berthier 17e.
Les Européens, mise en scène de Christian Esnay. Du 12 au 25 mars 2009. Ateliers Berthier 17e.
Tableau d’une exécution, mise en scène de Christian Esnay. Du 26 mars au 11 avril 2009. Ateliers Berthier 17e.

Représentations du mardi au samedi à 20h00, le dimanche à 15h00. Réservations au 01 44 85 40 40.

A propos de l'événement


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