La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Visages de la danse 2017

Une danse nourrie par l’histoire des représentations

Une danse nourrie par l’histoire des représentations - Critique sortie Danse
Crédit : Matthieu Popovic Légende : Gaëlle Bourges

Création et espaces / Danse et art pictural

Entretien Gaëlle Bourges

Publié le 28 février 2017

Du Verrou de Fragonard pour sa pièce éponyme à La Dame à la licorne dans À mon seul désir, de l’art pariétal pour Lascaux aux Effets du bon et du mauvais gouvernement d’Ambrogio Lorenzetti pour sa nouvelle création Conjurer la peur, les œuvres plastiques sont une intarissable source d’inspiration pour la chorégraphe et performeuse Gaëlle Bourges.

Qu’est-ce qui vous a amené à puiser dans des œuvres picturales pour traiter du nu féminin, du genre, du désir ?

G. B. : J’ai eu la chance de visiter de grands musées assez tôt. Mon goût pour les images est premier et nourrit ma manière de faire des spectacles. Or, quand on s’intéresse à la peinture, on remarque assez vite la répartition très genrée des rôles. Dans l’histoire, on peut constater d’abord que beaucoup de peintres ont été des hommes et qu’ils ont peint beaucoup de femmes. Ensuite que le regard de ces artistes sur leurs modèles organise une structure du désir, qui est devenue comme une structure-étalon. Cela a fortement imprégné notre façon de voir le monde, mais aussi nos façons de nous représenter. Je ne m’intéresse donc pas au « nu féminin », au « genre » et au « désir », mais à la façon dont notre culture a créé de toutes pièces ces catégories, qui relèvent à la fois du social, du politique, de l’esthétique, etc.

« Ce sont les œuvres plastiques qui ouvrent un champ de réflexion, et pas un thème dont je chercherais l’illustration. »

Qu’apportent selon vous ces différentes œuvres au mouvement, à la chorégraphie ?

G.B. : Je choisis pour chacun de mes spectacles une œuvre plastique qui permet d’ouvrir un faisceau de problématiques éclairant de façon singulière l’histoire des représentations. Par exemple ma dernière pièce, Lascaux, m’a conduite à un livre de l’anthropologue Daniel Fabre : Bataille à Lascaux*. J’y ai appris notamment que ce sont souvent de jeunes personnes qui découvrent l’art pariétal fin 19e et début 20e. Concrètement, on peut s’imaginer figurer sur scène quatre adolescents découvrant une grotte. Cela nous indique un état, une façon de nous déplacer, une technique de corps à proprement parler. Si quatre jeunes gens trouvaient une grotte ornée aujourd’hui, avec quoi éclaireraient-ils l’obscurité souterraine ? Certainement avec leurs iPhones. C’est ce que nous faisons dans Lascaux.

Pour votre prochaine pièce, Conjurer la peur, vous explorez un nouveau thème : les gouvernements.

G.B. : Comme vous l’avez compris, ce sont les œuvres plastiques qui ouvrent un champ de réflexion, et pas un thème dont je chercherais l’illustration quelque part. Ce ne sont donc pas les gouvernements qui m’intéressent, mais la façon dont Ambrogio Lorenzetti a répondu à la commande du gouvernement des Neuf, qui dirige la ville de Sienne dans les années 1330. Il peint une immense fresque représentant d’un côté les effets d’un bon gouvernement, de l’autre les effets d’un mauvais. Les deux côtés mesurent quatorze mètres de long et sont remplis de détails. C’est en allant voir de près ces détails qu’on a une chance de toucher la profondeur de la pensée, du savoir-faire de Lorenzetti et, par là même, la complexité politique du temps dans lequel il vivait. La réponse de ce peintre me semble être exactement dans la précision, l’addition des détails. C’est comme si l’acte de gouverner avait à voir avec ça. Le contraire d’un tweet, en somme. Dans la danse, il me semble que le détail compte aussi.

 

 

Propos recueillis par Delphine Baffour

 

*Daniel Fabre, Bataille à Lascaux. Comment l’art préhistorique apparut aux enfants

Paris, L’Échoppe, 2014

A propos de l'événement

Conjurer la peur
du mardi 21 mars 2017 au mardi 5 décembre 2017


Conjurer la peur de Gaëlle Bourges : La Ménagerie de Verre, 12/14 rue Léchevin 75011 Paris. Les 21 et 22 mars à 20h30. Tél. 01 43 38 33 44. Dans le cadre du festival Etrange Cargo.

 

Egalement le 14 avril au TAP, Théâtre Auditorium de Poitiers, le 10 juin au Centre de développement chorégraphique Uzès danse, du 22 au 25 novembre au Théâtre des Abbesses, le 5 décembre au Centre Chorégraphique National de Tours.

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