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Le Cirque contemporain en France

L’impact d’une politique culturelle en faveur du cirque

L’impact d’une politique culturelle en faveur du cirque - Critique sortie
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Cirque et politique culturelle

Publié le 11 novembre 2014

Forgée au tournant des années 80 pour accompagner l’éclosion d’un mouvement esthétique d’une originalité et d’une audace inédites, la politique culturelle en faveur du cirque contemporain a tracé les lignes de force qui dessinent le paysage aujourd’hui. Emmanuel Wallon, Professeur de sociologie politique à l’Université Paris Ouest – Nanterre, en analyse les principales étapes et les enjeux d’avenir.

Comment la politique en faveur du cirque contemporain s’est-elle affirmée ?

Emmanuel Wallon : Le cirque relève du ministère de l’Agriculture jusqu’en 1979, car les enseignes traditionnelles doivent soumettre les animaux de leur ménagerie au contrôle vétérinaire. L’Etat veille par ailleurs à l’ordre public lors de l’installation des chapiteaux en ville. L’image dominante du genre demeure façonnée par « La Piste aux étoiles », émission de la télévision publique qui s’éteint en 1978. Pourtant, des expérimentations bousculaient la suprématie de la prouesse et du numéro depuis quelques années. Ainsi, dès 1974, Annie Fratellini et Pierre Etaix fondent l’Ecole nationale du cirque, tandis que Silvia Monfort et Alexis Gruss inaugurent le Centre de formation aux arts et techniques du cirque et du mime. L’ouverture de ces deux écoles, qui accueillent des jeunes non issus du sérail, rompt avec la traditionnelle transmission de père à fils ou de maître à apprenti. Elle contribue à ouvrir le cirque à d’autres artistes, notamment venus des arts de rue, en pleine effervescence. Le transfert de la tutelle au ministère de la Culture en 1979 s’accompagne de la mise en place d’un fonds de soutien gérée par l’Association pour la modernisation du cirque, secondée en 1980 par une Association pour l’enseignement des arts du cirque. Ces mesures posent le socle d’une politique spécifique que Jack Lang va développer à son arrivée rue de Valois en 1981. Avec son équipe, en particulier l’architecte Christian Dupavillon et le directeur du Théâtre et des Spectacles Robert Abirached, il en bâtit la charpente, notamment en octroyant le label de Cirque national à Alexis Gruss en 1982 et en créant le Centre national des arts du cirque en 1983. Peu à peu le secteur se structure et la profession s’organise, avec l’apparition de trois syndicats. Une mission de développement des arts de la piste est confiée au centre de ressources HorsLesMurs. Ce mouvement se double d’un soutien à la création, par l’intégration du cirque dans les dispositifs existants pour le spectacle vivant, tels que les aides à la production ou à la diffusion et les conventionnements de compagnies.

Une nouvelle phase s’amorce avec l’Année des arts du cirque, de l’été 2001 à l’été 2002. Quelles sont ses évolutions majeures ?

E. W. : Cette opération nationale menée par le ministère de la Culture à l’instigation et avec l’appui de HorsLesMurs se décline dans de nombreux domaines. Elle renforce les soutiens financiers à la création mais inaugure aussi de nouveaux dispositifs répondant à la singularité de l’activité circassienne dans ses modes de production et de diffusion. Elle conforte son ancrage sur les territoires, avec la labellisation de pôles régionaux des arts du cirque. Elle vise aussi à améliorer les conditions d’accueil des cirques et à sensibiliser les collectivités au potentiel artistique de ce secteur avec la signature d’une Charte d’accueil des cirques dans les communes par le ministère de la Culture, l’Association des Maires de France, la Fédération nationale des collectivités territoriales pour la Culture et les trois syndicats. L’effort porte également sur la formation à travers le soutien d’écoles préparatoires aux établissements supérieurs, sur la recherche et sur la constitution de ressources.

« Il faut continuer à chercher le décloisonnement pour éviter le risque d’enfermement dans un réseau spécialisé. »

Quel fut l’impact de cette politique volontariste ?

E. W. : En concordance avec un mouvement esthétique d’une diversité, d’une originalité et d’une audace inédites, elle a laissé des traces profondes et durables, tant dans le domaine des formes que dans celui des représentations du cirque auprès du grand public. Elle a favorisé l’émergence de metteurs en piste, le renouvellement artistique et le croisement des langages, en particulier avec le théâtre, la danse et les arts de la rue. Ce mouvement se poursuit à l’évidence. Le cirque contemporain approfondit son dialogue avec les autres arts et affirme sa capacité à affronter les thèmes de son époque, comme la question du genre, le rapport à l’autre, la difficulté d’articuler un récit… Aujourd’hui cependant, les politiques publiques peinent à accompagner ces développements car elles se heurtent à la stagnation des ressources, comme dans les autres disciplines du spectacle vivant. Les compagnies rencontrent des difficultés de diffusion, de manque de moyens de production, de coûts liés à l’itinérance sous chapiteau, ce d’autant plus qu’elles restent globalement sous-dotées au regard de leurs frais fixes et des nécessités d’entrainement quotidien des circassiens. Par ailleurs, la place laissée aux cirques en ville, pour l’installation des chapiteaux de passage ou l’aménagement de lieux de résidence, n’a guère connu d’amélioration, du fait de l’inflation du foncier, des contraintes croissantes de l’espace public et des normes de sécurité de plus en plus lourdes. Enfin les habitudes des programmateurs des établissements généralistes n’évoluent que lentement… Il faut continuer à chercher le décloisonnement pour éviter le risque d’enfermement dans un réseau spécialisé.

Quels sont les chantiers à venir ?

E. W. : Concernant la formation, penser une pédagogie en prise avec les enjeux esthétiques et sociétaux me semble essentiel. Un artiste de cirque ne se résume pas à un excellent technicien. Il doit acquérir des compétences multiples : non seulement être un interprète complet, mais également savoir administrer une compagnie, intervenir en milieu scolaire ou universitaire, mener des actions de sensibilisation auprès de publics éloignés de la culture… Il ne faut pas se reposer sur les acquis de l’enseignement à finalité professionnelle mais ouvrir le dossier de la formation continue, pour accompagner les artistes tout au long de leur carrière, y compris dans une phase de reconversion. L’autre chantier porte sur la diffusion, qui mériterait davantage de soutien. Un troisième enfin touche à l’amélioration des conditions de circulation des compagnies, en France comme à l’étranger.

 

Entretien réalisé par Gwénola David

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