La Terrasse

"La culture est une résistance à la distraction" Pasolini

Le Cirque contemporain en France

Du cloisonnement au questionnement

Du cloisonnement au questionnement - Critique sortie
© D. R.

Cirque traditionnel et cirque contemporain

Publié le 11 novembre 2014

Rompant avec les canons de la tradition qui balisaient le genre, le cirque aujourd’hui se conjugue au pluriel, fraye avec tous les autres arts et se décline en esthétiques multiples. Ingénieur de recherche au Département des études et statistiques du ministère de la Culture et de la Communication, Jean-Michel Guy trace les lignes qui dessinent le paysage actuel.

En quoi l’esthétique du cirque contemporain rompt-elle avec la tradition ?

Jean-Michel Guy : Le cirque contemporain se caractérise avant tout par sa diversité, par la primauté donnée à la notion de création et donc aux valeurs qui s’y rattachent : l’originalité, l’innovation et depuis peu la sincérité et la générosité. Son identité reste pourtant problématique : d’une part parce qu’il doit encore lutter contre un imaginaire social qui continue d’assimiler le cirque aux codes traditionnels ; d’autre part parce qu’il flirte avec tous les autres arts et que ces hybridations brouillent constamment les limites du genre. Ce que peut un corps circassien ne se réduit pas seulement à la prouesse. L’intention est la finalité du geste. Le cirque traditionnel vise la performance pour elle-même, c’est-à-dire la monstration de compétences humaines rarissimes, l’anormalité, la spectacularisation du danger… Il joue sur la peur (et le vertige), le rire et l’émerveillement. L’artiste de cirque contemporain cherche à exprimer des propos et des émotions infiniment plus variés et surtout appréhende le corps différemment : il en fait l’objet même de sa recherche. Comme dans la danse contemporaine, il travaille à partir d’états de corps, d’âme et d’esprit. La création se fait à l’intérieur de la chair.

« Des circassiens de la nouvelle génération interrogent l’essence même de leur art. »

Quelles sont les évolutions qui se dessinent aujourd’hui ?

J-M. G. : A l’évidence, émerge depuis quelques années une quête du cirque « pur », qui souvent part de questions que pose la pratique circassienne et qui entend se défaire des influences du théâtre et de la danse pour déployer un geste de cirque qui pense son drame en lui-même, sans s’appuyer sur une dramaturgie extérieure. Ainsi par exemple des créations de XY ou de Un loup pour l’homme. Le sens découle du geste lui-même. Cette tendance résulte sans doute de la reconnaissance du cirque comme art si bien que les artistes ne cherchent plus à légitimer leur démarche de création en empruntant à la danse ou au théâtre.

Longtemps le cirque contemporain s’est démarqué de l’esthétique classique de la piste. Or de jeunes artistes jouent aujourd’hui avec les codes traditionnels. Est-ce le signe d’un dépassement de l’opposition des genres ?

J-M. G. : Les deux mondes restent encore cloisonnés, sociologiquement et artistiquement. Ils continuent de s’ignorer. Pour autant, des circassiens de la nouvelle génération interrogent l’essence même de leur art et pour cela en fouillent l’histoire, les origines et les signes emblématiques. Parce qu’ils jouissent désormais d’une pleine reconnaissance, ils n’ont plus besoin de forger leur identité par opposition ou différence. Ils mesurent aussi d’ailleurs ce qu’ils doivent à la danse et au théâtre. De fait, ils revisitent les codes traditionnels par détournements, citations, réappropriations…

La prouesse semble de plus en plus recherchée pour elle-même. Ce mouvement marque-t-il un néo-classicisme ?

J-M. G. : Cette évolution trouve son origine dans la crise économique que subit le secteur du spectacle vivant, renforcée par une concurrence accrue entre des compagnies de plus en plus nombreuses. Ce contexte pousse à privilégier les formes aisément vendables car conformes à l’image dominante du cirque et donc aux attentes supposées du public. Elle résulte également de la compétition, internationale, que se livrent les grandes écoles supérieures de cirque. Certaines ont choisi la prouesse comme facteur de différenciation et finalement entraîné les autres sur ce terrain. Cette importance donnée à la virtuosité technique, envisagée comme finalité, risque en effet de déboucher sur un néo-classicisme. Cependant, en se banalisant, la prouesse change de statut. Elle relevait hier du don, du sublime, elle apparaît aujourd’hui comme une compétence acquise par un dur apprentissage à l’école. De signe de grâce, elle devient savoir-faire.

 

Entretien réalisé par Gwénola David

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