Le rapport à l’autre à l’aune des corps
Que révèlent les corps aujourd’hui ?
Entretien Sylvère Lamotte
Publié le 23 février 2018
Danseur, jeune chorégraphe fortement marqué par la danse contact improvisation, Sylvère Lamotte explore le rapport à l’autre à travers les corps. Ruines et Les Sauvages sont ses deux premières créations.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours et de la danse contact qui inspire votre écriture ?
Sylvère Lamotte : J’ai commencé la danse très jeune, dans une petite école puis au CNR de Rennes. J’ai découvert la danse contact en arrivant au CNSMD de Paris, où elle était enseignée par Didier Silhol. Je suis tombé instantanément amoureux de cette discipline qui explore la relation à l’autre, le toucher, le porté, etc. En travaillant dans des compagnies, par exemple avec Paco Dècina qui fait beaucoup appel à l’écriture instantanée, j’ai continué à creuser cette question, notamment à travers la figure du porté, à laquelle je voulais apporter ma patte. C’est à cet endroit que j’ai trouvé une sorte de facilité dans l’écriture. Ce qui compte pour moi c’est la réciprocité, je veux qu’une personne qui n’est vraiment pas destinée à porter puisse prendre en charge quelqu’un qui n’a jamais été porté. Voir un rapport de force qui finalement s’inverse crée une autre poétique des corps. C’est d’une grande beauté. J’ai dû réinventer un training physique, car dès que l’on parle de porté hors axe, il y a des risques de blessure. Je donne un cours avant chaque répétition, qui est ouvert à l’extérieur, à d’autres danseurs, aux gens du théâtre dans lequel nous travaillons. Cela crée une diversité, une richesse dans les corps. Je donne aussi beaucoup de cours réguliers en milieu hospitalier, à des personnes handicapées, malades, à de grands brûlés.
« Ce qui compte pour moi c’est la réciprocité. »
Vous avez créé votre premier spectacle, Ruines, en 2014.
S. L. : Ruines est né de mon envie de travailler avec deux personnes formidables, Jérémy Kouyoumdjian, qui danse avec moi, et Stracho Temelkovski, un musicien instrumentiste d’origine macédonienne. J’interroge dans ce spectacle le rapport entre violence et beauté, à partir d’un souvenir d’enfant, la vue d’une image du Christ en croix. C’est terriblement cruel et pourtant les gens sont en adoration devant cette image, et une certaine beauté en émane. Pour créer Ruines, je suis parti d’une iconographie très précise, entre déploration, descente de croix, etc., que j’ai mêlée à des images beaucoup plus triviales et contemporaines de combats de rue, de « free fight« . La pièce s’exécute dans la lenteur, pour interroger les inter-situations, les passages d’une image à l’autre.
Que pouvez-vous nous dire de votre dernière création, Les Sauvages ?
S. L. : Les Sauvages est une pièce sur le développement de l’individu dans le groupe, vu par le prisme du corps, de la chair. Elle interroge tout ce qui fait groupe : l’union, la désunion, les situations d’augmentation et de diminution physique – c’est-à-dire l’augmentation ou la diminution de la prise de parole, du regard, de la prise d’initiative -, les ressorts de l’inclusion et de l’exclusion. Traiter ce rapport au groupe était pour moi une urgence. Qu’est-ce qui fait communauté ? Nous avons travaillé sur les gestes grégaires, les mouvements de foule. Le sentiment de foule est créé par la scénographie, constituée de 34 imposants bastaings. Ils deviennent tour à tour barricade, charnier, forêt. Au fur et à mesure du spectacle certaines personnalités prennent le dessus, se révèlent ou s’enfouissent. Chacun est multiple, capable du pire comme du meilleur dans les cas extrêmes.
Propos recueillis par Delphine Baffour
A propos de l'événement
Les Sauvagesdu vendredi 13 avril 2018 au vendredi 13 avril 2018
Théâtre Louis Aragon
24 bd de l'Hôtel de Ville, 93 290 Tremblay-en-France
à 20h30. Tél. 01 49 63 70 58. Durée : 1h. Avec le Centquatre, dans le cadre du festival Séquence Danse.
Également le 5 avril aux Mains d'Œuvres, Saint-Ouen, dans le cadre du festival Les Incandescences.