Faire communauté et faire sens
A partir d’une conception très ouverte de la danse, du corps en mouvement, Alban Richard a conçu un projet pour le Centre Chorégraphique National de Caen, qui inscrit la danse et l’institution dans un projet politique.
Les CCN renforcent l’attachement à leur territoire. Comment poursuivre en même temps les missions d’ouverture au monde d’un lieu comme le CCN de Caen ?
Alban Richard : La question première qui m’anime, c’est celle de donner de la visibilité à la danse, mais surtout aux corps dansants, en tout cas aux corps qui se mettent en mouvement. Nous travaillons sur la façon de devenir un lieu où l’on partage une vision du monde, une vision où l’ensemble des corps de la société sont libres et égaux. Le CCN de Caen met en place des moments où se créent des communautés provisoires d’intelligences qui se rencontrent. Qu’on vienne voir un spectacle, faire une « création habitants » pendant 8 mois, pour un stage week-end « danse et bien être », pour une conférence, ou pour faire la fête avec un DJ… Ce sont autant de moments pour qu’une communauté se constitue. Des communautés traversent le lieu, le partagent, et rendent visibles les corps en mouvement. Il ne faut pas que cela se passe uniquement au sein même du CCN, mais aussi dans les territoires. Nous pouvons ainsi mettre en œuvre des créations habitants à Cherbourg ou à Alençon, des résidences de création dans la communauté d’agglomération de la Baie du Mont-Saint-Michel, et créer des communautés nomades à travers la rencontre avec une pratique, avec la danse.
« Créer des communautés nomades à travers la rencontre avec une pratique, avec la danse. »
Est-ce que l’enjeu ne serait pas la circulation entre ces communautés, la possibilité d’une mise en commun ?
A.R. : De fait, la mise en commun est portée par la façon dont l’équipe et moi créons du sens. Cela ne peut pas fonctionner s’il s’agit juste d’une accumulation de partenariats. Pour que les personnes puissent comprendre qu’elles ont un intérêt intellectuel, social, pour certains corporel, à venir, il faut qu’elles effectuent une traversée et qu’elles y trouvent du sens. Notre travail avec l’équipe est de créer le sens de la traversée.
Cette définition très ouverte de la danse n’est cependant pas une évidence pour tout le monde…
A.R. : Oui mais j’en ai fait une sorte de manifeste : avoir un corps à soi et se mettre en mouvement est une chose très forte pour moi. Surtout que l’on peut se poser les questions de la liberté d’avoir un corps à soi, et de ce qu’est un corps libre.
D’où l’emploi du mot manifeste qui est de l’ordre du politique…
A.R. : Des choses très simples peuvent faire changer le regard sur une institution, ou sur la danse. Les personnes viennent pour ce qu’elles sont, ce qu’elles ont envie de découvrir ; il n’y a aucune instrumentalisation vis-à-vis du projet. En choisissant de travailler avec 40 personnes par an sur une création habitants, par exemple, on ne fait pas du chiffre, on crée un lien privilégié. J’aime beaucoup la notion philosophique de reliance, un concept proposé par Roger Clausse. Je pense que la danse peut vraiment travailler à l’endroit de la reliance. Elle va au-delà de la connexion, au-delà du social, elle ajoute du sens, une forme d’insertion dans une communauté.
Propos recueillis par Nathalie Yokel
A propos de l'événement
Centre Chorégraphique National de Caen en Normandie, Halles aux Granges, 11-13 rue du Carel, 14000 Caen. Tél. : 02 31 85 83 94.