L’Âne et la carotte du Galapiat Cirque

En piste, l’homme se lance un défi : enchaîner une série d’exploits. Avec le concours de son garçon de piste et du public, il réalise quelques incontournables du cirque traditionnel vaguement revisités. Des prouesses plus ou moins bien exécutées car à quoi bon s’obstiner à vouloir aller encore plus vite, plus loin, plus haut ? Ce passage en revue se veut une mise en perspective : Lucho Smit propose en fait « une petite mise en abyme de l’humanité, du cirque et de son histoire ». Plusieurs spectacles se font d’ailleurs l’écho de ces transformations, comme par exemple le magnifique Oraison funèbre de la compagnie Rasposo. Tandis que les premières générations issues du Centre National des Arts du Cirque (CNAC) tirent leur révérence, ceux qui restent font le bilan, avec plus ou moins de délicatesse.

Tournant décisif

Qu’est-ce donc que ce nouveau cirque qui ne tourne plus rond ? Le co-fondateur du collectif Galapiat Cirque né en 2006, Lucho Smit, tient à la piste. Il fait ici figure de professeur entouré d’élèves (qu’il appelle son « cher public » mais qu’il manipule maladroitement). Tout du moins tente-t-il de faire œuvre de pédagogie, déjà par ses commentaires en voix off. D’où une opposition binaire. D’abord, il exécute une série inspirée par des numéros traditionnels en déployant de multiples talents (trapéziste, funambule, voltigeur…). S’il assume ses fragilités et cède même volontiers au  ridicule, Lucho Smit fait malgré tout l’éloge du risque. Ensuite, il dresse un constat désabusé du nouveau cirque, réduit, selon lui, à la notion de concept au détriment de l’interprète. Une critique caricaturale peu étayée, si ce n’est par une longue séance de jonglage sur du Stravinsky, effets stroboscopiques à l’appui, entrecoupés de pauses. Oui, le cirque contemporain remet en cause la notion d’exploit, mais pas forcément celui de risque. Oui, il raconte quelque chose de notre rapport au monde, avec plus ou moins de bonheur, mais la puissance du propos ne réduit pas l’interprète à néant. Il peut même donner naissance à un auteur ! Non, le nouveau cirque n’est pas une « mascarade ». En fait, ce spectacle est tout ce qu’il dénonce, avec ironie : « chiant, fastidieux, bavard, nombriliste, prétentieux ». Car, indéniablement, Lucho Smit nous prend de haut. Est-ce un problème de ton, de distance ? En nous livrant ainsi ses états d’âme, on assiste à une dégringolade, un peu à l’image de son entrée, fracassante : une traversée sur une rangée de chaises dangereusement empilées. Mais, en guise de revanche, il finit quand même sur une impressionnante tour, assouvissant son besoin, décidément insatiable, de repousser les limites.

Sarah Meneghello